Abstract :
[fr] La localisation vidéoludique, souvent vue comme un simple impératif industriel, est ici réexaminée comme un acte de conception ludique influant sur la contingence du jeu. Le jeu vidéo est considéré comme un objet polysémiotique riche, où sens et expérience émergent de l’interaction du texte, du visuel, du sonore, mais également des modes propres au média vidéoludique. Il est postulé que le jeu consiste en une « expérimentation de la contingence », une expérience façonnée par des stratégies de guidage intersémiotique destinées à orienter les interactions jouaire-jeu. Dans cette perspective, la localisation ne se limite pas à la traduction textuelle, mais opère un transfert des potentialités ludiques qui définissent l’expérience et le plaisir du jeu, en adaptant les éléments sémiotiques pour maintenir le mystère nécessaire au gameplay.
Cette recherche vise à clarifier le rôle de la localisation comme part intégrante du processus de game design et d’en identifier les leviers. L’objectif principal est d’analyser comment les localisataires modifient la contingence du jeu afin de préserver ou de réajuster l’engagement ludique. Il s’agit également de formaliser les stratégies intersémiotiques employées pour guider implicitement le jouaire (indices textuels, signaux visuels, éléments audios) et de démontrer que cette démarche participe à l’équilibre global du jeu. Ces analyses s’inscrivent au croisement de la traductologie vidéoludique, des digital game studies et de la sémiologie.
Il s’agit d’une thèse fondamentale théorique reposant sur des analyses sémiologiques illustratives. Ce travail aborde la localisation de jeux vidéo sous trois angles : la sémiologie structurale, pragmatique et cognitive. Cette approche tripartite a permis de mettre en évidence que les localisataires agissent sur la contingence à travers diverses stratégies. Ils transfèrent, compensent et équilibrent le degré de contingence expérimenté par les jouaires. Par exemple, des techniques dites de compensation permettent de regagner des informations ludiques perdues lors de la traduction, en adaptant d’autres éléments sémiotiques (texte, image, son) pour restaurer l’indéfinition originale. Ainsi, la localisation apparait comme un rééquilibrage constant des dynamiques intersémiotiques du jeu. Les analyses montrent que les localisataires doivent idéalement considérer l’ensemble des langages du jeu (textuel, graphique, auditif, ludique) comme un tout cohérent et équilibré. En pratique, ils ajustent de manière synchrone les dialogues, l’interface et la bande-son pour maintenir la fonctionnalité et l’expérimentation des possibles dans un jeu.
Ces résultats confirment que la localisation influe significativement sur l’expérience ludique en modulant les conditions de contingence, tout en préservant à la fois la jouabilité et les aspects culturels. La localisation doit donc être envisagée comme un acte de design créatif. Elle ne consiste pas simplement en un acte linguistique et culturel, mais en un (ré)équilibrage des potentialités ludiques. La localisation de jeux vidéo apparait comme une activité réflexive, où les actaires, considérés comme de véritables experts du média, « lisent entre les lignes » du game design pour anticiper les dynamiques intersémiotiques. Il en découle que les localisataires devraient être intégrés tôt dans le processus de développement afin de collaborer étroitement avec les conceptaires.
[en] Video game localization, often regarded as a mere industrial requirement, is reexamined here as a game design act that directly shapes the game’s contingency. Video games are understood as rich polysemiotic objects, where meaning and experience emerge from the interplay of texts, visuals, sound, and the medium’s specific modes of expression. It is posited that games constitute an “ experimentation of contingency,” an experience structured by intersemiotic guidance strategies aimed at orienting player–game interactions. From this perspective, localization is not limited to textual translation but performs a transfer of ludic potentialities that define gameplay and enjoyment, adapting semiotic elements in order to preserve the mystery essential to play.
This research seeks to clarify the role of localization as an integral component of game design and to identify its key mechanisms. The main objective is to analyze how localizers alter the game’s contingency in order to preserve or readjust player engagement. It also aims to formalize the intersemiotic strategies employed to implicitly guide players (textual cues, visual signals, audio elements) and to demonstrate that such strategies contribute to the overall balance of the game. These analyses are situated at the crossroads of video video game localisation, digital game studies, and semiology.
This theoretical dissertation, grounded in illustrative semiological analyses, addresses video game localization from three angles: structural, pragmatic, and cognitive semiology. This tripartite approach highlights how localizers act upon contingency through various strategies. They transfer, compensate, and balance the degree of contingency experienced by players. For instance, compensation techniques make it possible to recover lost gameplay information by adapting other semiotic elements (text, image, sound) to restore the original indeterminacy. Localization thus appears as a constant rebalancing of the game’s intersemiotic dynamics. Findings show that localizers should ideally consider the game’s multiple languages (textual, graphical, auditory, ludic) as a coherent and balanced whole. In practice, they synchronously adjust dialogues, interfaces, and soundtracks to maintain functionality and the experimentation of possibilities within a game.
The results confirm that localization significantly shapes the ludic experience by modulating conditions of contingency while preserving both playability and cultural dimensions. Localization should therefore be regarded as an act of creative design. It is not merely a linguistic and cultural operation, but a (re)balancing of ludic potentialities. Video game localization emerges as a reflexive practice in which localizers, seen as true media experts, “read between the lines” of game design to anticipate intersemiotic dynamics. Consequently, localizers should be integrated early in the development process to work in close collaboration with designers.