Abstract :
[fr] L’ensemble des revues littéraires « modernistes et d’avant-garde » parues en Belgique immédiatement après la première guerre mondiale (jusqu’en 1922) est étudié dans une perspective d’histoire et de sociologie de la littérature. L’exemplification porte principalement sur les corpus des revues bruxelloises (L’Art libre, Haro, Au Volant, Demain littéraire et social, Le Geste, Signaux de France et de Belgique, La Lanterne sourde, 7 Arts, Sélection) et anversoises de langue française (La Drogue, Lumière, Ça Ira).Une première partie de la thèse est consacrée à l’explicitation des choix théoriques et méthodologiques. Est d’abord étudiée la place réservée à l’objet « revue littéraire » dans différents modèles de sociologie de la littérature (théorie des champs de Pierre Bourdieu, théorie de l’institution de la littérature de Jacques Dubois, études de la sociabilité intellectuelle). Reprenant la terminologie de Christophe Prochasson, l’ensemble des revues littéraires est appréhendé en terme de « réseau » (tissé entre différents « lieux » et « milieux »). Par sa plasticité, le concept de « réseau » désigne adéquatement l’ensemble des revues, espace ouvert et aux frontières floues, en permanente reconfiguration, hétérogène et déployé dans la durée. Le « réseau » des revues se développe dans une double dimension humaine (la revue comme lieu de sociabilité, comme milieu) et textuelle (la revue comme lieu de publication, comme instance éditoriale). Une seconde partie de la thèse présente d’une part un panorama des revues littéraires belges pendant la première guerre mondiale (revues en Belgique occupée et revues du front) et d’autre part la progressive reconstitution de l’espace des revues après l’Armistice. Dans cette période de transition, les enjeux esthétiques sont inféodés aux questions politiques à propos desquelles se positionnent les revues. Le débat principal (tant politique qu’architectural et littéraire) porte sur la question de la reconstruction du pays, conçue en terme de « restauration » par un pôle conservateur et en terme de « renouvellement » par un pôle moderniste et d’avant-garde. À travers l’étude des différentes prises de positions des revues du corpus sont encore abordées les problématiques du pacifisme et de la question flamande, toutes deux au croisement entre littérature et politique. Dans une troisième partie du travail, le réseau interpersonnel et intertextuel des revues littéraires est pris pour objet à travers l’examen des différents lieux et milieux qui le constituent. L’étude des différents milieux imbriqués dans les corpus bruxellois et anversois est suivie d’un chapitre traitant de questions matérielles concrètes (choix de format, modes de diffusion, financement, types de public visés). Abordées sous cet angle, les revues apparaissent non seulement comme des instances relevant de la vie littéraire, mais aussi comme des instances proprement « médiatiques ». Dans un troisième chapitre sont inventoriés les différents types de lieux où se déploie l’« action d’art » de ces revues (« centres d’art », galeries et lieux d’expositions, tribunes médiatiques, maisons d’éditions). Le réseau des revues « modernistes et d’avant-garde » constitue une portion d’un continuum plus large : les liens avec les revues et les milieux plus conservateurs sont discrets mais constants, tant sur le plan de l’imbrication entre les milieux que sur celui des appuis concrets sollicités par les revues « modernistes et d’avant-garde » pour assurer leurs conditions d’existence. La dernière partie propose un retour sur le modèle réticulaire, notamment sur les questions du déploiement du réseau des revues dans la durée, des enjeux historiographiques et du rapport de la littérature avec les autres champs. En conclusion générale, l’accent est mis sur la période de transition de l’immédiat après-guerre (1919-1922), où l’« effet de réseau » est particulièrement perceptible, et sur l’apport de la dissertation concernant les traits définitoires du modernisme et de l’avant-garde, en ce qui concerne les revues littéraires.