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Abstract :
[fr] En 2018, le Liège Game Lab, en collaboration avec le Digital Lab et avec le soutien de la Maison des Sciences de l'Homme, a lancé LiègeCraft, un dispositif exploratoire de jeu-recherche-création dans lequel des citoyens sont invités à s'approprier un quartier de Liège en le recréant dans un jeu vidéo. Ce projet participatif a deux objectifs. D'abord, il cherche à créer un espace de dialogue entre citoyens au sujet du développement de l’espace public de la ville de Liège et ainsi favoriser la démocratie culturelle. Ensuite, il doit être le lieu d'expérimentations et d'observations venant nourrir les recherches du laboratoire au sujet de la participation citoyenne et ludique à la vie politique.
Concrètement, ce projet consiste à rassembler une communauté locale autour d'une utilisation cadrée de Minecraft. Ce dernier est un jeu vidéo créatif qui propose à ses joueurs de contrôler un vaste monde virtuel fait de blocs grossiers – il est régulièrement comparé aux Lego. LiègeCraft utilise cet outil pour permettre aux citoyens de représenter, recréer et redéfinir des espaces du monde actuel au sein d'un environnement virtuel. La méthodologie de l'atelier consiste à guider les participants au long de deux phases : ils reproduisent le quartier liégeois du XX Août, puis ils le détruisent et réaménagent leurs espaces vécus et imaginés. Sept sessions ont été organisées à ce jour et quatre supplémentaires sont planifiées courant 2019.
Dans le cadre de cette communication, nous souhaitons analyser notre propre démarche sous l'angle des destructions que le dispositif opère. Premièrement, les espaces reproduits par les joueurs ne sont pas simplement une représentation mimétique de l'espace matériel. En utilisant la plateforme de Minecraft, les joueurs défient la carte imposée par les institutions publiques (Ville, État, etc.) et privée (Google Maps). En modifiant les échelles, les légendes et les symboles, ils déconstruisent la carte scientifique traditionnelle pour produire une nouvelle carte reflétant leur propre lecture de l'espace matériel : une carte imprégnée de sens par des ensembles de pratiques socio-spatiales contestées, complexes et interdépendantes. Deuxièmement, une fois l’espace créé, un mouvement itératif et collectif de destruction et de reconstruction s'organise. Dans ce processus, c'est non seulement l'espace qui est travaillé mais aussi les imaginaires qui lui sont liés. L’espace virtuel devient alors un « urban commons » (Harvey, 2012) : un espace qui est produit, reproduit et consommé à la suite d’une relation sociale instable et malléable entre un groupe social particulier partageant des intérêts communs et l’espace social existant ou à créer. En cela, les pratiques destructrices induites dans LiègeCraft sont source de créativité et d'appropriation (De Certeau, 1974).
LiègeCraft représente un répertoire d'action innovant en tant qu'outil de planification démocratique, contestant la domination des institutions hiérarchiques sur la prise de décisions concernant l'espace public. Il déplace le pouvoir symbolique de destruction (et de reconstruction) des instances officielles vers les habitants (virtuels ou actuels), reconstituant un espace commun qui sert leurs intérêts plutôt que ceux d'une profession ou d'un pouvoir public (Wood, 2010 ; Illich, 1978). Cette émancipation passe notamment par la formation d'un collectif capable de jugement esthétique (Jauss, 1978) et formant un public plutôt qu'une audience (Servais, 2017). Enfin, la force de ce dispositif constitue sa limite : le pouvoir déplacé est bien de l'ordre de la représentation et donc du symbolique. C'est pourquoi LiègeCraft ne doit pas être considéré comme un outil de transformation politique, mais comme un embrayeur à l'action et comme un moyen d'éducation populaire.