Élaboration d’une théorie relative au rôle des émotions des étudiants en situation de réception/interprétation de feedbacks à l’université

Notre communication intègre deux thèmes de recherche particulièrement prisés par la communauté scientifique internationale au cours de ces dernières années. Ces thèmes sont les pratiques de feedback d'une part, et les émotions en contexte d'apprentissage d'autre part. Le concept de feedback est connu de longue date en sciences de l'éducation, de nombreux travaux ont été réalisés sur les bonnes pratiques de feedback, sur leur importance en termes de régulation des apprentissages ou de métacognition par exemple. Cependant, depuis quelques années, il semble qu'un virage ait été amorcé dans la manière de comprendre les feedbacks en contexte académique. En effet, depuis 2010 et les travaux de Sadler et de Nicol notamment, les feedbacks sont davantage compris comme un processus complexe, que comme un produit qui serait simplement transmis en tant qu'information de rétroaction à un étudiant. Si la littérature s'est longuement penchée sur les conditions de cette transmission, à travers une bonne élaboration d'un feedback (Brookhart, 2008 ; Hattie & Timperley, 2007 ; Shute, 2008) ou encore du canal de communication adéquat (Espasa et al., 2019), elle aborde aujourd'hui des questions davantage liées aux dispositions dans lesquelles un étudiant va recevoir et intégrer un feedback, en vue d'en faire un usage pertinent et constructif pour ses apprentissages (Winstone & Carless, 2019). Cette nouvelle orientation des travaux relatifs aux feedbacks s'inscrit dans la définition d'un nouveau paradigme en la matière (Dawson et al., 2018), qui a pour principal intérêt de mettre en évidence le rôle de l'étudiant dans ce processus.

Dans cette nouvelle conception du feedback, le modèle Student Feedback Literacy de Carless et Boud (2018) postule l'existence de plusieurs aptitudes propres aux étudiants, parmi lesquelles une certaine gestion des affects. Derrière ce terme relativement vague, il est bien entendu question d'un phénomène non moins complexe que celui du traitement des feedbacks en lui-même ; à savoir la gestion du processus émotionnel ou des épisodes émotionnels, qui sont susceptibles d'être déclenchés par la réception d'un feedback externe ou la génération d'un feedback interne. Dans le modèle cité supra, la gestion des affects se limite à une recommandation selon laquelle il est préférable de diminuer les émotions négatives en vue d'être en capacité d'utiliser les feedbacks reçus... Le constat du faible éclairage apporté à cet aspect du traitement des feedbacks nous a conduits à investiguer le champ des émotions en contexte d'apprentissage en particulier (Pekrun et al., 2006), mais également celui de la psychologie des émotions et de la motivation (Reeve, 2013) de façon plus générale.

Cette recherche vise la compréhension fine des conditions et déterminants qui caractérisent l'intégration du processus émotionnel, tel qu'il est défini dans le cadre de l'approche multicomponentielle des émotions (Sander & Scherer, 2019), au sein du processus de traitement de feedbacks en contexte académique. Dans ce contexte, nous avons mobilisons l'approche qualitative, selon la méthode par théorisation ancrée (Lejeune, 2019). Cette approche, structurée autour de la réalisation quasi-simultanée et itérative des phases de problématisation, de collecte de données, d'analyse et de rédaction de résultats, nous a permis de dessiner les contours d'une théorie relative au rôle des émotions des étudiants en situation de feedbacks dans le contexte universitaire. Nous avons pu mettre en évidence le rôle de déterminants tels que le sentiment d'efficacité personnelle de l'étudiant, dans un contexte précis, mais aussi l'importance des buts d'apprentissage, de la qualité informationnelle et relationnelle des feedbacks fournis par les enseignants, etc.

Cette communication porte sur l'état d'avancement de cette recherche, réalisée au moment du colloque à partir de 11 entretiens individuels avec des étudiants divers profils, variant tant au niveau du domaine de formation, qu'en termes d'expérience académique ou de niveaux de performance.