Abstract :
[fr] La peinture semble révéler, avant toute chose, l’expérience sensible du voir. Mais ne peut-elle pas, aussi, dans certains cas, faire percevoir par l’œil quelque chose qui relèverait d’un autre ordre sensoriel ? Peut-on goûter, sentir, entendre, toucher avec les yeux ? Si les spécialistes se sont beaucoup interrogés sur le passage du sensible à l’art – notamment sur la place de la nature dans les œuvres d’art anciennes, où on sait l’importance culturelle qu’y exerçait la mimesis –, le passage de l’art au sensible est, quant à lui, plus rarement considéré.
La représentation visuelle du sensible a souvent été envisagée à travers l’étude de l’iconographie des cinq sens, qui a déjà fait l’objet de plusieurs études, profitant de l’essor fécond de l’histoire des cultures sensibles et, plus largement, du succès rencontré par les sensory studies depuis quelques dizaines d’années. Plusieurs publications et expositions ont été consacrées à cette problématique, en particulier depuis les travaux de Carl Nordenfalk. Le plus souvent, toutefois, les recherches sur le sujet tendent à privilégier une analyse que nous pourrions qualifier de sémiotique (qui donne à lire un sens), portant sur des images qui rassemblent un ensemble d’éléments visuels dotés d’une valeur symbolique. C’est le cas de nombreuses gravures – les emblèmes, par exemple – et de peintures, telles que les allégories représentant la série des cinq sens, ou les natures mortes – en particulier celles de la première génération. Ne peut-on toutefois envisager d’explorer la figuration picturale du sensible autrement que par la voie symbolique ? Il semble en effet qu’il existe un autre type de regard possible, interrogeant différemment la peinture où le sensible est mis en jeu, et qui prendrait appui sur le concept d’esthésie. Les images esthésiques (qui donnent à percevoir une sensation) seraient ainsi celles qui semblent traduire l’expérience sensorielle elle-même. La question se pose, notamment, pour la nature morte. Il suffit de penser à la dimension presque tactile de certaines peintures, à la puissance d’évocation de tableaux qui paraissent – comme le disait Diderot à propos de Chardin – vouloir faire goûter au spectateur l’aliment représenté sur la toile. Mais la problématique est vaste et susceptible de concerner bien d’autres types de productions artistiques – la sculpture, la photographie, le cinéma.
L’idée même d’esthétique renvoie, étymologiquement, à la perception sensible. Cette question engage dès lors tant l’historien de l’art que le philosophe, l’historien, l’anthropologue ou le spécialiste des études littéraires. L’objectif de la journée d’étude sera de réfléchir la cohérence théorique de ce concept d’esthésie, en privilégiant une réflexion ouverte du point de vue des disciplines, des méthodes et des objets. Il s’agira d’envisager tant la production que la consommation des images (S. Ebert-Schifferer), c’est-à-dire la nature de l’effet sensible produit sur le spectateur par la contemplation d’une œuvre d’art. Comment l’art traduit-il non seulement le visuel, mais également le tactile, l’olfactif, l’auditif, le gustatif ? Comment, en somme, s’opère le passage secret qui conduit du visible à l’esthésique ?