Abstract :
[fr] Aux portes de l'Union européenne (UE) où les politiques migratoires restrictives contribuent aux « processus d'encampement » (Agier 2014 p. 11), la Grèce est particulièrement concernée en raison de sa position géostratégique sur la route de la Méditerranée orientale. Dans le même temps, l'inclusion des enfants vivant dans les camps au sein d'un parcours scolaire formel est compromise. Cette situation conduit alors à l'émergence de dynamiques éducatives directement dans les lieux d'enfermement. Cette recherche a sa source dans un entretien mené en juillet 2018, avec une cheffe de projet du ministère de l'Éducation grec qui est chargée de l'implantation d'écoles maternelles publiques dans les camps. Selon elle « dans un camp, l'école est contagieuse, elle a un effet boule de neige ». À la demande d'étayer son raisonnement, elle a mis l'accent sur la nécessaire construction d'un espace de bien-être au sein de l'école, qui pourrait rejaillir sur l'ensemble du camp. Ce sont les raisons de cette « contagiosité » que j'ai tenté d'analyser au fil de mes enquêtes, et que je présenterai à travers la question suivante : comment les dynamiques éducatives dépassent-elles le cadre de leurs représentations pour devenir des outils au service du bien-être à l'échelle d'un camp ? La notion de représentation, empruntée au champ de la psychologie sociale, sera utilisée dans en tant que « cadre d'interprétation du réel » (Jodelet 1998). Traditionnellement, l'école est en effet perçue comme le lieu de dispensation d'un savoir dont les enfants sont les destinataires naturels. Or, en contexte de camp, je démontrerai que l'école peut disposer de prérogatives élargies et d'une aura dépassant l'attractivité des enfants. Cet article s'intéresse à la notion de bien-être à travers son lien étroit avec la santé mentale, qui selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) englobe « la promotion du bienêtre, la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes atteintes de ces troubles 1 ». Il se propose d'analyser l'influence que peut avoir une école sur un camp de réfugiés, pour déterminer comment des espaces de bien-être peuvent se développer en un territoire a priori hostile. Pour ce faire, j'ai réalisé trois enquêtes de terrain en Grèce (octobre 2017, juillet et août 2018, juillet et août 2019). Les données que je mobilise proviennent de six visites de camps, dix-sept observations de classes et cinquante-six entretiens semi-directifs d'une durée moyenne de 90 minutes. En Grèce continentale, je me suis rendu plusieurs fois dans les camps de Skaramangas (banlieue d'Athènes), Eleonas (Athènes intra-muros) et Ritsona (centre du pays). Dans les îles de la mer Égée, je suis allé dans les camps de Vial (île de Chios), Kara Tepe (île de Lesbos) et Vathy (île de Samos). Après avoir exposé les raisons de la multiplication des lieux d'enfermement en Grèce et défini le concept de camp, je présenterai les initiatives entreprises par plusieurs acteurs de l'éducation non formelle en ce qui concerne le trauma des enfants. Cette dimension semble être un élément-clé du processus de « contagiosité » alors que sa prise en charge se confronte à deux difficultés : une situation d'urgence nécessitant la prise en compte des contextes sociopolitiques (Baubet et Moro 2003), et le fait que les enfants manifestent des symptômes qui ne s'inscrivent pas toujours dans des cadres classiques. Le trauma doit alors être traité en prenant en compte les « dimensions individuelles, familiales et culturelles de chacune des situations » (Taïeb, Baubet, Pradère et al. 2004). Enfin, je proposerai des pistes de réflexion sur le concept même « d'école », tant mes enquêtes révèlent l'avènement d'une nouvelle forme d'institution éducative.
