Abstract :
[fr] Alors que la manipulation en traduction nous est présentée comme inévitable et que les traducteurs se disent soumis à des contraintes linguistiques, culturelles et idéologiques, les amenant souvent à simplifier, à normaliser et à expliciter leurs traductions, comment traduit-on des auteurs dont l’objectif est justement de s’écarter des traditions littéraires et de la conception classique de l’écriture ? Dans leurs deux romans respectifs publiés en 1933, Virginia Woolf et Georges Simenon s’éloignent délibérément des attentes de leur temps au travers de leur style, l’une, pour donner une voix aux minorités et remettre en question les normes établies de la narration ; l’autre, pour se démarquer sur la scène parisienne. Dans Flush et La Maison du canal, le rythme prime sur le sens et la répétition est une figure de style à laquelle les deux auteurs ont eu recours afin de solliciter les sens des lecteurs en amplifiant le sens des mots. À la lumière de l’analyse des pratiques traductives des traducteurs de ces deux romans, il apparaît qu’ils n’ont pas hésité à manipuler le rythme d’origine pour s’adapter aux supposées attentes du public cible, au détriment de la volonté des auteurs, privant ainsi les lecteurs étrangers des caractéristiques rythmiques et prosodiques de l’original. Les romans étudiés et leurs lecteurs mériteraient grandement que ceux-ci soient retraduits en mettant l’accent sur leurs composantes rythmiques et stylistiques. Pour Henri Meschonnic, le traducteur doit avant tout chercher à recréer le sens littéraire des œuvres, qui sont bien plus qu’une suite de mots. Pour véritablement capturer l’essence littéraire d’une œuvre, le traducteur doit remettre en question ses préjugés linguistiques et repousser les limites du langage, à l’instar de Woolf et de Simenon.
[en] While manipulation in translation is presented to us as inevitable and translators claim to be subject to linguistic, cultural and ideological constraints, often leading them to simplify, standardise and explicit their translations, how do we translate authors whose very aim is to depart from literary traditions and the classical conception of writing? In their two respective novels published in 1933, Virginia Woolf and Georges Simenon deliberately departed from the expectations of their time through their style, one to give a voice to minorities and challenge the established norms of storytelling, the other to stand out on the Parisian scene. In Flush and La Maison du canal, rhythm takes precedence over meaning, and repetition is a figure of speech used by both authors to engage the reader’s senses by amplifying the meaning of words. An analysis of the translation practices of the translators of these two novels shows that they did not hesitate to manipulate the original rhythm to suit the supposed expectations of the target audience, to the detriment of the authors’ intentions, thus depriving foreign readers of the rhythmic and prosodic characteristics of the original. The novels studied and their readers would greatly benefit from being re-translated with an emphasis on their rhythmic and stylistic components. For Henri Meschonnic, the translator must above all seek to recreate the literary meaning of the works, which are much more than a series of words. To truly capture the literary essence of a work, translators must challenge their linguistic prejudices and push back the boundaries of language, following the example of Woolf and Simenon.