Abstract :
[fr] Les films de Werner Herzog regorgent de portraits homme-animal qui déclinent, selon quatre variantes possibles, la violence humaine sur le règne animal : 1/ l’animal figé, immobilisé, tué par l’être humain qui pose avec lui (Les nains aussi ont commencé petits, 1970 ; Aguirre la colère de Dieu, 1972) ; 2/ l’animal domestiqué qui n’est plus que le reflet grotesque de comportements humains (La balade de Bruno, 1977 ; Échos d’un sombre empire, 1990) ; 3/ l’animal devenu résidu, carcasse (Fata Morgana, 1972 ; Leçons des ténèbres, 1992) ; 4/ la communion entre l’homme et l’animal qui n’est qu’un contrepoint, déjà perdu, à une relation impossible (Ennemis intimes, 1999 ; Into the Abyss, 2011).
L’image que Herzog donne de la relation entre la nature et les hommes dans ces portraits n’est pas très optimiste. De toute évidence, leur relation a mené à la soumission ou à la mort de l’animal, ce qui revient au même. Leur rapport ne peut pas être pensé autrement que sur le mode de l’inégalité, fatale à l’animal. En élargissant ce constat, on peut avancer que pour Herzog, si paradis il y a, il est perdu à jamais. Il subsiste à l’état de ruine. Dans cette singulière cosmogonie herzogienne, le portrait homme-animal joue un rôle crucial. Il est non seulement la forme qui permet à Herzog de faire le constat du rapport humain nécessairement mortifère à l’animal, c’est-à-dire le support de description de cette relation inconciliable entre l’homme et l’animal. Mais il apparait aussi comme l’outil et le lieu même qui précipitent cette relation inégalitaire et fatale. En effet, ce que semblent nous dire ces images, c’est que, pour qu’il y ait portrait, ou bien il faut arrêter la vie, ou bien il faut qu’elle soit arrêtée. Il faut poser ou il faut qu’il y ait pose. Soit les animaux doivent toujours être déjà morts, soit ils doivent poser jusqu’à la mort. C’est à cette seule condition que le film peut rassembler l’être humain et l’animal dans une même image. Cet article croise les portraits animaux dans quelques films de Herzog avec des extraits de La dialectique de la raison (Adorno & Horkheimer) et de la Théorie esthétique (Adorno). Le montage texte/image ainsi produit nous permet d’une part de réinterroger la canonique Dialectique de la raison grâce à un ensemble de déplacements que nous suggère la rencontre entre la Théorie esthétique d’Adorno et certaines séquences de Herzog, d’autre part d’envisager à nouveaux frais le singulier rapport du réalisateur allemand à la représentation de la nature pour y trouver une portée critique inédite.