Abstract :
[fr] Nous expérimentons depuis plusieurs mois une collaboration avec des clowns au sein d’une série de « laboratoires ». A la suite d’ateliers qui visaient à mettre à portée de jeunes enseignants en philosophie des techniques de jeu clownesque pour les aider à animer des discussions philosophiques en classe, nous tentons le « matche retour » : qu’est-ce que le philosophe peut bien apporter au clown ? Comment la philosophie peut à son tour nourrir le jeu et la pensée du clown ?
Nous avons imaginé, grâce à l’aide de groupes de clowns volontaires, un ensemble d’exercices variés mêlant supports philosophiques (questions, citations, textes plus longs, images, discussions) et consignes de jeu, dans le but d’aller à la rencontre de la pensée-clown, de voir en quelque sorte comment elle réagit à de telles accroches. Nous faisons en effet le pari qu’il y a chez les clowns (nous parlons bien ici des clowns, et non des acteurs, même si la réflexion avec ceux-ci a été passionnante) une forme singulière de pensée aux caractéristiques propres : l’exacerbation de l’émotivité, le besoin absolu de s’exprimer par le corps, l’ancrage dans des éléments concrets, le recours à l’imagination et à la métaphore, une certaine lenteur (parfois accompagnée d’accélérations soudaines), un goût prononcé pour l’absurde, une attention extrême aux résonances des mots, un usage immodéré de la dérision...
Nous avons cherché à nourrir cette pensée, à lui lancer des défis, à la mettre en jeu plus frontalement, au risque parfois de faire « remonter dans la tête » et de perdre le « jouant ». Le clown est en général peu bavard, et lorsqu’il parle, il n’est pas rare que son corps « s’éteigne ». Il a donc fallu penser à diverses modalités d’interaction et d’impulsion pour l’inviter à s’exprimer, et ensuite l’entendre dans toute sa subtilité, à travers un langage qui n’est pas habituel pour le philosophe. Il s’agit bien à la fois d’apporter de la matière philosophique et de soutenir la pensée du clown par nos interventions, mais aussi d’observer cette pensée in vivo, en train de se faire, à travers de multiples écueils et d’heureuses surprises. En aiguillonnant le clown, en le titillant, en le poussant jusqu’à ses limites, nous tentons de mieux connaître son mode de pensée et de bénéficier de l’éclairage tout particulier qu’il peut apporter sur les sujets philosophiques abordés (la solitude, le temps, le pardon, le désordre, l’univers...).
C’est au récit de cette expérience encore tâtonnante que nous voulons convier le public, en l’entrainant aux confins de la philosophie, là où corps et parole tendent à se confondre.
Faute de pouvoir emmener avec nous nos ami·e·s clowns, nous nous résolvons à proposer une simple conférence, en espérant qu’elle pourra néanmoins faire droit, d’une façon ou d’une autre, à l’esprit du clown.