Abstract :
[fr] Dans le cadre de nos précédentes recherches en analyse du discours politique, nous avons mis en lumière les stratégies rhétoriques à l’œuvre dans le discours néo-libéral francophone de Belgique (article à paraître dans Le Français moderne). Dans une attention aux analogies binaires réalisées par le locuteur Georges-Louis Bouchez dans ses tweets – personnalité politique extrêmement médiatisée dans le champ politique belge –, nous avons montré l’efficace communicationnelle de cette pensée analogique, qui crée des effets d’adhésion par l’instauration d’une communauté interprétative et affective commune. Pour ce faire, nous avons notamment analysé l’ironie développée à l’encontre des opposants de gauche, grâce à l’îlot textuel ironique « intellectuel » qui crée une distanciation par son hétérogénéité énonciative. Le locuteur préconise, dans des petites phrases – que l’on requalifiera de « petites blagues » – relevant de l’énonciation aphorisante, des attaques moqueuses, grâce au présupposé et au sous-entendu, procédés toujours soutenus dans le cas de Bouchez par un ethos d’arété, de franc-parler, d’authenticité et de sincérité. Ces procédés n’entrent pas directement dans le cadre de l’humour au sens strict, mais plutôt dans des formes de cynisme, d’ironie et de disqualification qui peuvent par ailleurs soutenir des visées humoristiques.
Nous souhaiterions investir cette dimension en portant notre attention sur les types d’humour mis en œuvre par le locuteur, dans un cadre énonciatif et idéologique précis, celui d’une forme de néo-libéralisme conservateur (ces termes devront être précisés afin d’éviter toute qualification idéologique hâtive). Dans le même temps, nous aimerions interroger l’hypothèse d’une forte dualité entre des types d’humour qui correspondraient à des formations discursives et idéologiques en affrontement et à des ethos distincts (arété contre eunoia). Loin de présupposer l’existence de ce que l’on pourrait qualifier d’« humour de droite » et d’« humour de gauche », il est question de cerner les valeurs qui sous-tendent des communautés interprétatives distinctes. Nous porterons ainsi notre regard sur un autre représentant politique, président du Parti Socialiste, l’autre plus grand parti de Belgique francophone, à savoir Paul Magnette. Ce dernier est à l’origine d’une polémique récente avec une petite blague qui reproduit la stéréotypie sociale du champ politique belge : « Beaucoup de Wallons se demandent pourquoi ils [les Flamands] reportent si longtemps leur bonheur. Les Wallons aiment profiter de la vie. Est-ce mal ? » (février 2023). La dimension politique de l’humour nous semble essentielle à creuser afin de mettre au jour les effets de sens et d’adhésion qu’il produit et les formes de clivage qu’il crée par son caractère collectif (tantôt excluant, tantôt inclusif). Et, inversement, le potentiel humoristique du discours politique reste à explorer, non qu’il faille considérer celui-ci comme une blague mais que ses logiques persuasives et son efficace pragmatique relèvent d’affects que l’aphorisme humoristique peut investir.
Nous inscrivons notre recherche dans le cadre large et interdisciplinaire de l’analyse du discours politique, qui couple les approches énonciativiste, rhétorique, argumentative et sémiologique. Comprendre les effets rhétoriques de moyens sémio-linguistiques propres aux blagues politiques revient à ausculter le phénomène discursif dans sa complexité, en tant qu’objet traversé d’une certaine obscurité formelle. Celle-ci se fonde sur des postures éthiques, sur des implicites communicationnels, sur des figures rhétoriques (métaboles), sur des stéréotypies et sur des stratégies énonciatives traversées d’hétérogénéité.