Abstract :
Rendue particulièrement vulnérable par la montée en puissance de l’information en ligne à la fin des années 2000 (Dozo et Krywicki, 2018), la presse vidéoludique s’est vue dépossédée de ce qui faisait naguère sa force. Avec l’avènement du numérique, les « news » exclusives des mensuels sont propagées sur les portails web, tandis que les « démos » des jeux vidéo à venir, traditionnellement délivrées à l’achat d’un périodique, sont désormais téléchargeables gratuitement. Cette déroute, aggravée par une concentration d’une immense majorité des titres autour d’un unique éditeur (Breem et Krywicki, 2020), a d’abord été vécue comme une défaite par les journalistes spécialisés, dépossédés de leurs « capitaux ludiques » (Consalvo, 2007).
Néanmoins, de nos jours, plusieurs de ces journalistes prennent à contrepied les modèles éditoriaux des magazines des années 1990, dans l’optique d’à la fois renouveler leur « routine éditoriale » (Shoemaker et Vos, 2009) et de se distinguer des influenceurs et vidéastes. Focalisés sur l’apport d’une « valeur ajoutée » (Degand, 2012 ; Simonson, 2014), ces professionnels adaptent leur rôle éditorial et construisent un « lecteur modèle » (Eco, 1979) s’inspirant des archétypes de la critique culturelle institutionnalisée. Dès lors, cette nouvelle génération de journalistes vidéoludiques marque ostensiblement son divorce avec les genres canoniques de sa spécialisation, récusant le terme de « test », qui désigne l’évaluation des nouveautés, pour lui préférer celui de « critique », à l’instar du magazine imprimé JV.
En s’appuyant sur une quinzaine d’entretiens et plusieurs centaines d’articles analysés, la présente communication propose de caractériser le ressenti et les motivations de ces journalistes réinventant leur spécialisation culturelle. À travers plusieurs exemples complémentaires, nous verrons que leur ethos revendiqué comme inédit découle en réalité de filiations multiples, issues de différentes branches du vaste arbre généalogique que constitue la critique d’art.