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• Grégory Cormann (1977) est Chef de travaux-Agrégé au département de Philosophie de l'Université de Liège, U.R. Traverses. Publications récentes: Grégory Cormann et Jérôme Englebert, Le cas Jonas: Essai de phénoménologie clinique et criminologique, coll. Phénoménologie clinique (Paris: Hermann, 2021); Grégory Cormann et Jeremy Hamers, “Écrire l'amok: L'essayiste, le perdant radical et la haine de soi”, dans Figurer le terroriste: La littérature au défi, sous la dir. de Elara Bertho, Catherine Brun et Xavier Garnier (Paris: Karthala, 2021), 112-43.
• Jeremy Hamers (1978) est Chargé de cours au département Médias, culture et communication de l'Université de Liège, U.R. Traverses. Publications récentes: Jeremy Hamers et Céline Letawe, dir. Hans Magnus Enzensberger: Jeu de construction pour une théorie des médias suivi de Usages d'une théorie marxiste des médias, coll. Médias/Théories (Dijon: Les Presses du réel, 2021); Jeremy Hamers, “Peter Watkins et les apories de la lutte médiatique: Enjeux et limites de la critique de la monoforme dans La Commune (Paris, 1871)”, contextes 30 (2021): https://journals.openedition.org/contextes/9911;
• Jeremy Hamers, “The African Twin Towers: Unveiling the Creative Process in Christoph Schlingensief's Late Film Work”, Cinema: Journal of Philosophy and the Moving Image 12 (2021): 76-93.
• Nous reproduisons ici un extrait du dialogue tel qu'il a été joué au Théâtre National Wallonie Bruxelles en 2016. Réalisation de la captation rtbf: Olivier Moser. Une importante étape de création de la pièce Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu est passée par le Festival de Liège en février 2015. La pièce a été créée au Théâtre National de Bruxelles en février 2016. Les dernières représentations en date de la pièce ont eu lieu au Manège de la Caserne Fonck à Liège et au kvs à Bruxelles en novembre et décembre 2019.
• Nous empruntons cette notion à Harun Farocki qui appelle “opératoires” des images produites par un ensemble de dispositifs de surveillance automatisée et qui ne sont plus destinées à l'œil humain mais à des yeux machiniques. Ces images sont les symptômes tout autant que les vecteurs d'une réification du réel, de l'être humain et de notre rapport visuel à ce réel. Voir à ce sujet, e.a.: Harun Farocki, “La guerre trouve toujours un moyen”, trad. de l'allemand par Pierre Rusch, dans HF/RG: Harun Farocki/Rodney Graham, sous la dir. de Chantal Pontbriand (Paris/Montreuil: Jeu de Paume/Blackjack, 2009), 91;
• Harun Farocki, “Il serait temps que la réalité commence”, trad. de l'allemand par Monique Rival, dans Harun Farocki, Reconnaître et poursuivre, textes réunis et introduits par Christa Blümlinger (s.l.: Théâtre Typographique, 2002), 34-45.
• La publication dans la presse de quelques photographies du petit Alan Kurdi, retrouvé mort sur une plage de Bodrum en 2015, la personnification de la cause des migrants par ces photographies et, enfin, la reconstitution de son trajet, constituent une exception qui confirme cette tendance à l'invisibilisation et à l'anonymisation par les discours médiatiques et politiques dominants.
• L'installation de réalité virtuelle Carne y Arena d'Alejandro González Iñárritu qui a fait grand bruit lors de sa première présentation à Cannes en 2017, pousse ce retour au corps jusqu'à son extrême limite. Elle propose en effet au spectateur/joueur de se mettre dans la peau - numérique cependant - d'un migrant mexicain qui tente de passer la frontière états-unienne. L'immersion est recherchée jusqu'à son comble. Le spectateur est muni d'un sac-à-dos à l'entrée de l'espace. Il marche pieds nus sur une surface de sable. Le casque VR fait le reste. Dans ce dispositif, le corps du migrant doit donc être réincarné par le spectateur lui-même afin que ce dernier en éprouve les sensations.
• Jacinthe Mazzocchetti, Là où le soleil ne brûle pas (Louvain-la-Neuve: Academia, 2019), 9.
• Cristina Cattaneo, Naufragés sans visage: Donner un nom aux victimes de la Méditerranée [2018], trad. Pauline Colonna d'Istria, (Paris: Albin Michel, 2019). Pour une interprétation du livre en termes d'histoire contemporaine du livre, nous renvoyons à la contribution de Benjamin Stora à la discussion qui a été organisée à Paris, le 4 septembre 2019, au Musée national de l'histoire de l'immigration à l'occasion de la parution en français du livre de C. Cattaneo. L'entretien en présence de l'auteure est disponible à l'adresse https://www.histoire-immigration.fr/agenda/2019-07/naufrages-sans-visage.
• Pour une histoire politique des politiques migratoires contemporaines, on se reportera au beau livre de Karen Akoka, L'asile et l'exil (Paris: La Découverte, 2020). Ancien agent du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies, l'auteure y montre notamment comment se constituent, dans les années 80, les catégories qui ont permis la fermeture des pays européens aux hommes et aux femmes qui, de demandeurs d'asile, sont désormais présentés comme des “migrants économiques” inaccessibles au statut de “réfugié”. C'est dans ce cadre que se met en place, au sein de l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (ofpra), pour la France, le questionnaire qui soumet les personnes migrantes aux procédures de vérification et, surtout, de falsification du récit de leurs parcours personnels de vie et de migration, alors qu'avant cette date l'asile était attribué sur la base de la nationalité et n'impliquait pas la question du vrai ou du faux. K. Akoka montre ainsi comment la justification du rejet de l'asile suppose l'essentialisation de la différence entre réfugiés et migrants économiques et, en amont de cette différence, l'essentialisation des différences entre les mœurs, les croyances, la langue et la culture des migrants et celles des citoyens européens. C'est à ces processus de différenciation essentialisants que s'opposent pied à pied le travail et le livre de C. Cattaneo qui se donnent les moyens, comme nous allons le voir, en identifiant et en nommant ces corps, de les identifier à nous comme des morts qui sont nos morts.
• C'est, par exemple, le Commissariat aux personnes disparues du gouvernement italien qui a missionné Cristina Cattaneo pour entreprendre l'identification des 366 victimes du naufrage qui s'est produit près de l'île de Lampedusa le 3 octobre 2013. En 2016, lorsque l'équipe intervient auprès des 800 morts du naufrage du “Barcone”, un bateau égyptien qui a coulé le 19 avril 2015 sur les côtés de la Sicile, près de Catane, elle collabore avec l'armée italienne pour récupérer les corps enfermés dans l'épave du bateau remorqué à Melilli sur un site militaire et entreprendre la collecte des données susceptibles d'identifier les personnes, pour la plupart des jeunes hommes encore adolescents, embarquées sur ces bateaux négriers des temps modernes.
• Caroline Douki, “Corps perdus” (compte rendu de Naufragés sans visage), En attendant Nadeau, [En ligne], 14 janvier 2020, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/01/14/corps-perdus-cattaneo/.
• Le docteur Bartolo est un des protagonistes du film de Gianfranco Rosi, Fuocoammare (Fire at Sea), qui a reçu l'Ours d'Or du Festival du film de Berlin en 2016 et a donné au médecin de Lampedusa une notoriété internationale.
• Nous citons ici la traduction française de l'entretien d'Anne-Sophie Sterck avec Pietro Bartolo telle qu'elle est proposée dans la publication du Texte intégral de la pièce dans Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu, sous la dir. de Roland de Bodt et Claude Fafchamps, Les voies de la création culturelle (Liège: Arsenic, 2017), 187.
• Roland de Bodt et Claude Fafchamps, dir., Ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu, 189-90.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 42.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 33-34.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 63. Voir, par exemple, 88: “Cette jeune fille, que nous avions l'impression de connaître à travers les histoires de son oncle, portait sur les images les plus récentes que nous avions d'elle un tee-shirt couleur lilas et un collier avec des strass comme ceux de Swarovski, identiques à ceux que portait ma filleule - une fois encore, des détails qui se superposaient à ma vie, à notre vie quotidienne. J'avais du mal à l'imaginer traversant le désert, puis aux mains de geôliers libyens qui la feraient monter, finalement, sur ce bateau.”
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 198.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 199: “Il s'agit d'une transposition infiniment réductrice des faits et de ce qu'a été la véritable torture, mais cela peut souvent aider ceux qui ont vraiment subi des violences et des persécutions. […] Avec Magli, l'anthropologue qui, comme une sœur, semble les prendre en charge un à un sans jamais perdre un mot ou laisser passer la moindre cicatrice, nous constatons combien il est difficile et parfois douloureux de classer cliniquement, avec la froideur scientifique, la pertinence d'une lésion, trop petite peut-être pour raconter une histoire précise, mais qui représente pourtant toute l'oppression, la souffrance et l'injustice endurées par ces gens. Ce que nous observons chaque semaine sur ces jeunes “réfugiés” diffère de la violence à laquelle nous sommes habitués.”
• La notion de forme est mise en évidence par Danilo, le bras droit de C. Cattaneo: “Non mais, sérieusement? Ils [leurs collègues dubitatifs] ont oublié que depuis des années la littérature scientifique nous explique que l'on peut identifier grâce aux formes - il tenait à souligner ce terme -, aux “formes” des dents, des os, des empreintes digitales, mais aussi du visage? Arrêtons un peu avec cette histoire d'adn.” (Cattaneo, Naufragés sans visage, 93.)
• Voir la conférence sur Naufragés sans visage animée par Juliette Benabent, en présence de Michel Agier, de Benjamin Stora et de l'auteure, Paris, Musée national de l'histoire de l'immigration, 4 septembre 2019. (Cattaneo, Naufragés sans visage, 93.)
• Dans le même entretien avec Cattaneo, Benjamin Stora insiste pour inscrire ces parcours actuels de migrations dans la longue histoire des migrations où des êtres humains ont cherché le chemin de la liberté: “Ce sont toujours les mêmes histoires. Des hypothèses qui s'inscrivent dans la durée historique: celle des hommes qui recherchent la liberté.” (Cattaneo, Naufragés sans visage, 93.)
• Comme chercheurs universitaires, on ne peut que remarquer avec reconnaissance que cette projection d'une autre politique pour et avec les migrants répond chez Cattaneo et chez ses collègues à une conception de service public du travail et de la recherche universitaires. Sans cacher l'ensemble des réticences que ses initiatives ont suscitées chez ses collègues, parfois proches, Cattaneo ne manque pas d'indiquer tout au long de Naufragés sans visage combien la mise en place, la mise en œuvre puis la réalisation de ses projets d'identification des morts des catastrophes de la Méditerranée est redevable à des collaborations interuniversitaires de grande ampleur.
• La pièce Sortir du noir a été créée au Théâtre de Liège en octobre 2019.
• Interview de Bénédicte Liénard et Mary Jimenez par Marc Roesems, Point Culture, octobre 2019, https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/interview-de-benedicte-lienard-et-maryjimenez-1-sortir-du-noir/.
• Nous employons ici cette notion conformément à la définition classique qui en a été proposée notamment, à la suite de Jean-Louis Baudry, dans l'ouvrage canonique Esthétique du film: “l'identification primaire (jusqu'alors non théorisée), c'est-à-dire l'identification au sujet de la vision, à l'instance représentante, serait comme la base et la condition de l'identification secondaire, c'est-à-dire de l'identification au personnage, au représenté.” Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie et Marc Vernet, Esthétique du film [1983] (Paris: Nathan, 1993), 184.
• Un spectacle visionné à travers un casque de réalité virtuelle met le spectateur/joueur dans les conditions visuelles et acoustiques d'une substitution pleine et totale de son espace par l'espace qui est représenté. Si le dispositif permet en outre une interaction entre le spectateur et des personnes ou des objets représentés dans cet espace, l'immersion sera considérée comme maximale.
• Nous retrouvons ici un point important du commentaire élogieux que Benjamin Stora donne du livre de C. Cattaneo dans la conférence citée plus haut. Pour Stora, Naufragés sans visage parle d'un monde, le Maghreb, qui est “tout à côté du nôtre”, “une part d'humanité qui est nous-mêmes et que nous ne voulons pas regarder”. On remarquera également que Cattaneo met des guillemets lorsqu'il s'agit pour elle de désigner son travail comme une “'immersion' dans le monde des morts sans identité”. (Cristina Cattaneo, Naufragés sans visage, 17.)
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 194.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 193-94. Le projet de sauver le Barcone et d'en faire un “monument aux morts” de la Méditerranée a été soumis à plusieurs aléas. Cristina Cattaneo a pensé un temps que l'Université de Milan allait pouvoir recevoir le bateau. Le Barcone a finalement été présenté à la Biennale de Venise en 2019. Il est maintenant à l'abandon sur le quai de l'Arsenal de Venise. S'agissant du destin récent du Barcone, voir l'article de Juliette Bénabent, “Le sombre destin de la “Barca Nostra”, l'épave symbole des naufragés en Méditerranée”, Télérama, 24 novembre 2020. Dans cet article, J. Bénabent qualifie le Barcone de “navire fantôme”.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 16.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 7. Une précision s'impose ici. Notre interprétation de Sortir du noir consiste à y voir un prolongement et un élargissement, selon les moyens du théâtre, du projet de Cristina Cattaneo dans Naufragés sans visage. Dès la première page de son livre, la médecin-légiste signale que le mois d'octobre 2013, le mois du naufrage de Lampedusa, a aussi été marqué par un deuil personnel suite au décès de son père. C'est à propos de la superposition de ces deux événements qu'elle parle, en ouverture de son livre, de “deuil partagé”.
• Nous avons cherché ailleurs à décrire ce soin des morts comme une “technique-limite de soi”. Voir Jérôme Englebert et Grégory Cormann, Le cas Jonas: Essai de phénoménologie clinique et criminologique (Paris: Hermann, 2021).
• Nous retrouvons ici la puissance de représentation de ce que nous sommes capables d'être que le Barcone incarne pour C. Cattaneo: “Quand l'épave fut vidée et qu'il ne restait plus à Melilli que des groupes de médecins légistes, la scientifique et la brigade mobile pour terminer les autopsies, nous allions souvent nous promener, dans la tranquillité des samedis et des dimanches, avec des collègues ou des militaires, et chaque fois nous nous arrêtions pour l'admirer. […] Le Barcone donnait à voir ce qui se passait près de cette Europe et de ces parlements qui prétendaient être les plus civiques, les plus démocratiques, les plus libéraux: des adolescents et des enfants morts, entassés dans des bateaux pareils aux anciens navires négriers, pour fuir la guerre, les persécutions ou la famine. Le Barcone nous rappelle ce qui ne devrait plus exister ou, plus exactement, nous dit combien il est facile d'oublier ou de refuser de voir, car c'est bien ce que nous avons fait, encore une fois: refuser de voir ou oublier.” Cattaneo, Naufragés sans visage, 194-95.
• Cattaneo, Naufragés sans visage, 88.
• Le “Immigration and Naturalization Service” est un ancien département du ministère étatsunien de la justice. Il a été dissous en tant qu'entité en 2003 pour être intégré au nouvellement créé “Department of Homeland Security”.
• Grégoire Chamayou, Théorie du drone (Paris: La Fabrique, 2013), 162.
• C'est ainsi que Chantal Akerman décrit les images mises à disposition par le service d'immigration américain. Entretien de Chantal Akerman avec Pierre Assouline dans “Première édition”, France Culture, 17 mai 2002, https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/ extrait-premiere-edition-chantal-akerman-pour-de-lautre-cote.
• Le développement proposé dans ce paragraphe et dans le suivant est librement inspiré de la théorie du membre fantôme proposée dans Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (Paris: Gallimard, 1945), 90-105.
• Chez Merleau-Ponty, les douleurs du membre mutilé renvoient à “un ancien présent qui ne se décide pas à devenir passé” (101). À leur niveau propre, elles désignent ce que Merleau-Ponty, après Sartre, définit comme une régulation émotionnelle de notre être-dans-le monde: “Être ému, c'est se trouver engagé dans une situation à laquelle on ne réussit pas à faire face et que l'on ne veut pourtant pas quitter” (101-102).
• Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 101.
• Nous reprenons ici une formulation utilisée dans un autre contexte par Laurent Demanze. Voir Laurent Demanze, “Un héritage sans testament”, dans Transmission/Héritage dans l'écriture contemporaine de soi, sous la dir. de Béatrice Jongy et Annette Keilhauer (Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise Pascal, 2009), 235.
• Ce texte est né dans le cadre du séminaire et du colloque Corps migrants. Récits et présences organisés d'octobre à décembre 2019 à l'Université de Liège. Il doit beaucoup aux échanges avec les participants à ces événements: Laura Beuker, Caroline Glorie, Jacinthe Mazzocchetti, Elsa Mescoli, Edith Bertholet, Amanda Carolina Da Silva, Olivier Dubouclez, Roland de Bodt, Claude Fafchamps, François Provenzano, Spyros Franguiadakis, Asbl “Point d'appui”, Collectif “Migrations libres”, Jérémy Gravayat, Asbl “La voix des sans-papiers”, Damien Darcis, Sophie Djigo, nimis Groupe, Lison Jousten, Emmanuel Béhague, Nancy Delhalle, Laura Aristizabal, Jean Bourgault, Françoise Beauguion, Yann Mouton, Coline Zimmer, Martin Vander Elst, Antoine Janvier, Catherine Pineur.