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Abstract :
[fr] Ces dernières années, l’historiographie des premières Guerres d’Italie (1494-1525) s’est considérablement enrichie notamment grâce aux études de D. Le Fur, N. Hochner, A.-M. Lecoq et R. W. Scheller. Croisant délibérément des sources variées (littéraires, politiques et iconographiques) ainsi que les méthodes (celle de l’historien des textes et celle de l’historien d’art), leurs travaux se sont attachés à définir les différents aspects du pouvoir royal et la manière dont celui-ci se met en scène tout spécialement sous les règnes de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier. Force est donc de constater que la figure du roi de France domine l’historiographie récente des premières Guerres d’Italie.
Pourtant, à chaque fois que les souverains des fleurs de lys sont mis en scène, ils n’occupent pas seuls le discours politique. D’autres personnages, la France et les Français, apparaissent à côté d’eux. Le premier est dépeint, selon une tradition établie, comme un espace bénéficiant de qualités exceptionnelles. Lesdites qualités conditionnent la nature du deuxième personnage – les Français –, lequel s’intègre dès lors à un portrait de la nation.
Durant les Guerres d’Italie, ce discours sur la France et les Français ne sert pas uniquement à décrire le royaume lui-même. Il permet avant tout aux artisans de la propagande royale d’élaborer une pensée légitimant la conquête de l’Italie et permettant d’y imposer une nouvelle culture politique et sociale d’inspiration française. Cet amalgame d’images à propos de l’Italie française ou Franco-Italia traverse l’ensemble de la période, croisant parfois la figure royale, mais s’en éloignant aussi très souvent.
L’étude d’une telle idéologie révèle enfin un intérêt supplémentaire. Au cours des premières décennies du XVIe siècle, la France connaît un véritable bouleversement de son modèle d’organisation sociale traditionnel. Nous voulons parler des trois ordres du féodalisme (oratores, bellatores et laboratores). Certes, dans la réalité quotidienne, le système ternaire ne reflète plus, depuis des siècles, la complexité des relations politiques et sociales. Par contre, la remise en cause de ce modèle au sein de la pensée politique curiale, en somme dans la culture de l’élite, est une donnée relativement nouvelle en ce début de XVIe siècle. Ainsi, le discours sur l’Italie française sert de champ d’expérimentation aux théoriciens du politique, aux polémistes ainsi qu’aux chroniqueurs et même aux poètes, leur permettant de redéfinir les contours d’un schéma ternaire qui, dans sa forme traditionnelle, leur apparaît désuet.
On l’aura compris : notre thèse s’oriente donc vers l’étude, non d’un seul mode de pensée, mais plutôt d’une pluralité de concepts et d’opinions ayant comme dénominateur commun la redéfinition des contours de l’Italie et également de la France. Il s’agira de comprendre la manière dont les auteurs de la cour de France regardent la Péninsule et ses habitants et comment, de cette expérience de l’altérité, ils en arrivent à pratiquer un retour sur eux-mêmes et à relire leur propre mode d’organisation sociale, autrement dit, les cadres théoriques de leur existence. Cette histoire des lys qui s’évertuent à fleurir dans les champs d’une Italie pourtant bien décidée à les faucher sera l’occasion d’entrevoir sous un angle neuf cette période de bouleversements et d’inquiétudes que sont les premières Guerres d’Italie.