Abstract :
[fr] De prime abord, les situations de harcèlement moral dégagent une impression d’irrationalité intense (Geuzaine & Faulx, 2000). Depuis notre position d’observateur extérieur, nous sommes face à un ensemble d’éléments qui heurtent la logique.
Du point de vue de celui qui s’en sent victime, d’abord : une personne vit une situation d’abus sur son lieu de travail, elle nous décrit, dans un flot de détails, les agissements qu’elle subit et nous percevons l’intensité de son angoisse. Les affects sont à l’avant-plan, intenses et souvent désespérés. La personne se sent persécutée, bafouée, démolie, et pourtant tente obstinément de continuer à fonctionner dans une situation insupportable. Pourquoi ?
Du point de vue de l’organisation, ensuite : le harcèlement moral, entre autres conséquences dommageables, entrave la productivité, augmente l’absentéisme, génère des surcoûts importants et détériore la qualité des produits et des services. Si un fonctionnement optimal et une bonne gestion des ressources humaines semblent un objectif profitable à l’organisation, comment le harcèlement moral peut-il s’y développer ?
Lorsque l’on tente d’intégrer le « harceleur» au système compréhensif, l’irrationnel est de nouveau à l’avant-plan. En effet, les raisons qui amènent cette personne à développer un mode relationnel persécutoire ont beau être logiquement justifiées (« je veille à la qualité du travail et promeus l’excellence ». «cette personne ne répond pas aux critères », « c’est de mon devoir de la sanctionner ,«c’est pour qu’elle apprenne »), il n’en sert pas moins, même involontairement, des fins totalement irrationnelles : mettre en échec puis détruire psychologiquement une personne et l’évacuer du système professionnel en invoquant sa propre responsabilité, son déséquilibre, son inadaptation au travail. Pourquoi ?
Le but de cet article est de présenter un modèle d’analyse qui permette de dépasser l’impression d’irrationalité qui se dégage des situations de harcèlement moral.
Nous verrons qu’il existe une logique sous-jacente au processus de harcèlement moral; logique certes subjective et biaisée, mais à la base d’un système de comportements et d’attentes très influent.
Après avoir exposé quelques repères théoriques, nous présenterons notre recherche et nos postulats méthodologiques. La partie consacrée à nos résultats s’articulera autour de deux axes : la présentation de certaines régularités parmi les situations de harcèlement moral et une réflexion sur l’aide que l’on peut proposer aux personnes qui en sont victimes.