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Abstract :
[fr] Le projet d’analyse du discours de Pêcheux s’inscrit dans un souhait de créer une nouvelle
discipline (Pêcheux, 1969) afin d’étudier de façon scientifique l’idéologie (Herbert, 1966, 1968), prenant « au sérieux l’impératif de "faire science" au sein même de la philosophie » (Fabiani, 2013, paragr. 2). Or, faire science est une démarche complexe qui ne repose pas sur une simple (quoique fictive) coupure épistémologique (qui prendrait la forme d’une coupure
« saussurienne » ; voir Pêcheux & Fichant, 1969; Pêcheux et al., 1971; Normand, 1995), dont
l’effectivité est largement débattue (Latour, 1987). Considérer ce qui fait science et la manière
dont des acteurs peuvent chercher à faire science demande d’articuler une lecture
épistémologique, sociologique et surtout discursive, attendu que l’activité scientifique se montre et obtient sa qualification de scientifique par les discours qu’elle produit. Notre contribution propose ainsi d’étudier le faire science de Michel Pêcheux en étudiant sa production discursive selon la triple lecture que nous venons d’évoquer. Plus spécifiquement, nous étudions l’ensemble des stratégies matérielles de scientifisation mobilisées par Michel Pêcheux, avant son tournant réflexif (Maldidier, 1993). Ces stratégies matérielles ne doivent pas s’entendre comme des tactiques cyniques ou conscientes de la part de l’individu (Bourdieu, 1976), mais comme la praxis scientifique et discursive dans laquelle s’inscrit la démarche des acteurs, entre agentivité et contraintes – nous permettant par ailleurs de réconcilier l’approche discursive et argumentative de la rhétorique (Amossy, 2022), attendu que faire science repose aussi sur des effets d’adhésion d’ordre rhétorique.
Ces stratégies matérielles de scientifisation, nous les étudions sur le terrain discursif – qui
constitue la matérialité desdites stratégies – en distinguant, pour des raisons éthodologiques
et heuristiques, deux aspects : (1) les aspects épistémo-énonciatifs et les aspects (2) gnoséo-
discursifs. Les aspects épistémo-énonciatifs permettent d’envisager la manière dont les
procédures épistémiques se réalisent énonciativement. Ainsi, nous pouvons distinguer des
énoncés qui visent à formaliser en vue d’un optimum informationnel (Mathy, 2017) et des énoncés qui encadrent et font l'exégèse des énoncés formalisés (Latour, 1987). Nous proposons d’étudier les énoncés à visée formalisante, du point de vue sémiotique et énonciatif, en considérant, notamment, les modalités d’articulation avec les énoncés qui les encadrent. Par ailleurs, nous apportons un regard spécifique quant à la manière dont ces énoncés, en ce compris les énoncés formalisés, sont porteurs d’effets éthotiques propres à tout faire science, quelle que soit la discipline concernée (Mathy, 2022). Les aspects gnoséo-discursifs, quant à eux, permettent d’envisager les effets de sens discursifs, au-delà des effets proprement énonciatifs (Charaudeau,
2005). Penser conjointement les aspects épistémo-énonciatifs et gnoséo-discursifs permet
d’approcher le discours scientifique dans son inscription matérielle – permettant de faire
dialoguer linguistique de l’énonciation et sémiotique (Colas-Blaise, 2010) – et dans son
inscription épistémologique et idéologique, c’est-à-dire dans son inscription gnoséologique
(Angenot, 2006).
Ainsi, nous souhaitons mettre au jour les tensions qu’entretiennent les modalités
d’inscription scientifiques entre elles ou avec le projet idéologico-épistémologique original,
attendu que les choix énonciatifs, sémiotiques et épistémologiques s’inscrivent eux-mêmes
dans des schèmes cognitifs constitutifs d’une gnoséologie dominante dans le sciences
modernes – que nous qualifions de gnoséologie galiléenne (Husserl, 2004; Milner, 1978; Perreau, 2016). Or, et c’est précisément l’intérêt du travail de Pêcheux, l’appareil épistémologique de ce dernier et son actualisation discursive permet de mettre au jour la tension entre, d’une part, le désir ou la volonté de faire science (Lordon, 1997; Stengers, 1992) – toujours travaillée tant par le faire science hégémonique des technosciences (Pestre, 2015) que par l’idéal galiléen, qui lui est consubstantiel, d’une science dont la mesure est la mesure de toute chose – et, d’autre part, un projet politico-épistémologique dont l’incompatibilité avec le faire science dominant dans la société occidentale est de plus en plus patente. En étudiant ces enjeux épistémologiques, il nous paraît possible, en conclusion de notre travail, de problématiser la question du faire science en analyse du discours et, plus largement, en sciences humaines.
[pt] O projeto de análise do discurso de Pêcheux insere-se no desejo de criar uma nova disciplina (Pêcheux, 1969) para estudar cientificamente a ideologia (Herbert, 1966, 1968), levando "a sério o imperativo de 'fazer ciência' dentro da própria filosofia" (Fabiani, 2013, para. 2). Contudo, fazer ciência é uma abordagem complexa que não se baseia numa simples ruptura epistemológica (ainda que fictícia) (que assumiria a forma de um corte “saussureiano”; ver Pêcheux & Fichant, 1969; Pêcheux et al., 1971; Normand, 1995), cuja eficácia é amplamente debatida (Latour, 1987). Considerar o que constitui ciência e a forma como os atores podem procurar fazer ciência exige articular uma leitura epistemológica, sociológica e sobretudo discursiva, dado que a atividade científica se mostra e obtém a sua qualificação como científica através dos discursos que produz. Nossa contribuição propõe, assim, estudar o fazer ciência de Michel Pêcheux, estudando sua produção discursiva segundo a tríplice leitura que acabamos de mencionar. Mais especificamente, estudamos todas as estratégias materiais de cientificização mobilizadas por Michel Pêcheux, antes da sua viragem reflexiva (Maldidier, 1993).