Phénoménologie; sciences sociales; constitution de l'individualité
Abstract :
[fr] Depuis les critiques formulées contre Sartre par Bourdieu et par Lévi-Strauss, une idée s’est imposée dans le sens commun : la phénoménologie existentialiste est une philosophie subjectiviste incompatible avec l’objectivisme des sciences sociales. L’objectif de cette thèse est de problématiser cette représentation de la pensée sartrienne, et le type d’historicité que cette idée reçue implique quant aux rapports entre la phénoménologie et la sociologie française. Nous proposons d’envisager les relations entre ces deux paradigmes au-delà du « grand partage » instauré par l’anthropologie structurale à partir d’oppositions schématiques qui déforment tout à la fois la phénoménologie et les sciences sociales.
Cette hypothèse est élaborée à partir d’une archéologie philosophique de la pensée française contemporaine. Avec cette méthode de travail, nous montrons comment un problème durkheimien est passé dans l’existentialisme, en contribuant à façonner en retour un programme philosophique qui a alimenté la sociologie de la seconde moitié du 20ème siècle, notamment dans le domaine des études postcoloniales et de genre. Il s’agit du problème de la « constitution de l’individualité », qui postule que l’identité personnelle du sujet est le produit d’une œuvre sociale, et non une propriété innée de la conscience individuelle. Nous retraçons l’élaboration de ce questionnement dans l’École française de sociologie, et sa relance dans la phénoménologie existentialiste à partir d’une réflexion sur les assignations identitaires produites par des contraintes sociales excessives.
L’enjeu de ce travail est d’établir un rapport de filiation entre deux traditions perçues comme étrangères l’une à l’autre. Dans l’histoire des sciences humaines, la phénoménologie existentialiste trouve sa place, non comme un faire-valoir de la sociologie, mais comme une méthode utile pour analyser les phénomènes d’oppression systémique ordinaire. Sa pertinence réside dans l’exploration d’un thème qui n’est que partiellement traité dans les sciences sociales de la première moitié du 20ème siècle : les résistances individuelles face à des situations d’enfermement normatif, vécues sur le mode du fatalisme. L’existentialisme s’empare du problème dans le cadre d’une phénoménologie du destin social, qui remet en cause le grand partage structuraliste, tout en révélant la richesse du dialogue entre la philosophie et les sciences sociales.
Disciplines :
Philosophy & ethics
Author, co-author :
Recchia, Fabio ; Université de Liège - ULiège > Département de philosophie > Philosophie française contemporaine et philosophie des sciences humaines
Language :
French
Title :
L'Œuvre de la société, la part de la conscience : le problème de la constitution de l'individualité dans le durkheimisme et l'existentialisme
Defense date :
28 February 2024
Institution :
ULiège - Université de Liège [Faculté de Philosophie et Lettres], Liège, Belgium