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Abstract :
[fr] Quand Evelyn Fox Keller et Donna J. Haraway – les deux biologistes féministes blanches des États-Unis du Nord des Amériques au centre de cette thèse – commencent à publier au début des années 1980, le monde dans lequel elles vivent se craquelle de toute part : le président Ronald Reagan est au pouvoir, la Guerre froide bat son plein, l’armement nucléaire ne cesse de se renforcer, et bientôt la guerre s’étend des sciences (où la sociobiologie et le déterminisme le plus chevronné laissent peu d’espace à celleux qui se situent hors des cadres dominants) jusqu’aux étoiles. Le changement de millénaire, pourtant si proche, n’a plus rien de certain ; à tout instant, leur monde peut imploser. L’urgence se fait de plus en plus épaisse et oppressante. Il en va de leur survie : il faut trouver des moyens, des modes d’actions et de pensées qui permettent de façonner des futurs habitables. Au fil des pages et des années, leurs réponses (toujours situées, particulières, partielles et partiales) ont été nombreuses. Cette thèse en présente une qui me semble porteuse d’espoir pour un à-venir-encore-vivable. L’idée est simple, presque naïve : changer notre langage (et plus particulièrement nos métaphores) pourrait permettre de changer les mondes (scientifiques) dans lesquels nous vivons en modifiant nos façons de penser et de construire nos savoirs. Les métaphores ont le pouvoir d’agir directement sur nos mondes. Reste à comprendre comment. Comment penser-avec ces deux biologistes féministes atypiques nous conduit-il à envisager autrement nos façons de nous situer, de faire des savoirs et finalement d’habiter nos mondes ? Reste aussi à découvrir quels sont les effets éthico-onto-épistémologiques d’une telle proposition. Sur quel(s) monde(s) leur proposition débouche-t-elle ? Qu’est-ce que cela ouvre et permet en termes de possibles, d’habitation et de vi-v-abilité de nos futurs (scientifiques) ? Quel est le rôle et la force du langage et des métaphores là-dedans ? Tout au long des chapitres, des histoires et des rencontres, il s’agit d’abord (I) d’expérimenter différents lieux, différentes disciplines qui ont donné leurs formes singulières aux épistémologies féministes alternatives d’Evelyn Fox Keller et Donna J. Haraway, puis de (II) penser-avec ce à quoi nous tenons et sommes relié·es – à commencer par les mots et les métaphores –, pour (III) enfin spéculer et nous engager dans un véritable changement ou transformation de nos pratiques (métaphorologiques et épistémologiques) et de nos mondes (scientifiques).
Cette exploration des épistémologies féministes alternatives d’Evelyn Fox Keller et Donna J. Haraway s’ouvre sur quatre histoires-promenades. Quatre narrations-besaces qui annoncent les « questions futures posées par les femmes dans les sciences et par les sciences dans le féminisme » . Ces premiers chapitres permettent surtout de comprendre l’engagement des fxmmes dans les études féministes scientifiques comme une réponse aux modèles – scientifiques et épistémologiques – « désincarnés [disembodying] du pouvoir et de la subjectivité mis en avant par les modèles dominants » . Ces premiers chapitres attirent aussi l’attention des lecteurices sur le rôle et l’impact des mots et du langage ; y compris dans l’intimité des sciences.
Cette exploration se poursuit avec la présentation d’un nouveau projet : celui de transformer les épistémologies et les pratiques des sciences dominantes « en brisant les méta-phores que nous utilisons la plupart du temps pour parler de connaissance » . Prenant, au passage, au sérieux le projet féministe de faire des êtres et des corps à la fois des sujets et des objets de pensée . Avec ces nouveaux chapitres, il s’agit ici de montrer comment Evelyn Fox Keller et Donna J. Haraway – accompagnées de toustes leurs compagnon·nes de pensée – s’y sont, concrètement, prises pour remettre en cause nos « habitudes d’esprit cartésiennes » tout en essayant de « cultiver des relations justes entre les diverses façons d’être/de devenir du monde » . Des façons d’être/de devenir du monde qui laisseraient la place à de nouvelles temporalités ; de nouvelles possibilités ; de nouvelles agentivités. Leur enjeu n’est toutefois pas de dénigrer les épistémologies et pratiques scientifiques passées mais de les faire intra-agir avec d’autres perspectives partiælles, d’autres vues, d’autres agent·es afin de contribuer, à leur tour, tant au projet féministe d’une science de la relève qu’à celui de nouveaux mondes futurs habitables. C’est en ce sens que cette exploration se termine, dans les derniers chapitres, par un « tropement » (une déviation) et une ré-habilitation des métaphores optiques.
