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Abstract :
[fr] Contrairement à nos États modernes, les Romains ne disposaient pas d’une constitution écrite instaurant un système juridique artificiel, et systématique. Durant la République, le système juridique était avant tout basé sur la tradition (mos), même s’il pouvait ponctuellement être précisé par des lois, des édits de magistrats ou des sénatus-consultes du sénat. Ce mos n’était pas intangible et pouvait s’enrichir, à la marge, d’innovations considérées comme positives par l’élite romaine. Dans ce contexte, la mémoire revêtait une importance primordiale car elle permettait de justifier ou de combattre toute innovation en invoquant les exempla d’un passé plus ou moins proche. Dans le cadre de cette conférence, nous prendrons en considération deux cas d’étude qui témoignent de l’importance de la mémoire dans des polémiques concernant le droit public et le droit pontifical.
En 133 av. J.-C., le tribun M. Octavius s’oppose résolument à la loi agraire de son collègue Ti. Gracchus. Afin de passer outre le veto de M. Octavius, qui refusait toute conciliation, Ti. Gracchus réalise un véritable tour de force et le fait déposer par le concile de plèbe. Si cette innovation juridique n’a plus jamais été répétée à l’identique, elle a néanmoins influencé la manière dont les tribuns ont par la suite géré la conflictualité au sein de leur collège. Ainsi en 67 av. J.-C., le tribun Gabinius menace son collègue Trebellius de le démettre de ses fonctions en invoquant le précédent de Ti. Gracchus. En 57 av. J.-C., alors même que l’action de Tibérius fait encore partie de la mémoire collective, la majorité du collège tribunicien ne se résout pas à démettre les quelques tribuns s’opposant résolument au retour d’exil de Cicéron. Le précédent créé par Ti. Gracchus continue donc un siècle plus tard à poser problème à l’élite romaine qui le considère comme un malum exemplum ne devant pas intégrer le mos.
Le second cas d’étude s’inscrit dans le contexte mouvementé du retour d’exil de Cicéron en 57 av. n. è. En effet, l’orateur prononça un discours devant le collège des pontifes, contestant la consécration de sa maison accomplie, quelques années auparavant, par le tribun de la plèbe Clodius. Contestant la légalité religieuse de celle-ci, Cicéron appuya son argumentation en rappelant la procédure traditionnelle des consécrations de biens conservée dans les archives pontificales, partie intégrante de la mémoire collective romaine. Il apparaît ainsi qu’en dépit des ressemblances dans l’exécution de la procédure, la consécration clodienne – bien que s’appuyant sur des précédents tribuniciens – ne peut être considérée comme une consécration traditionnelle respectueuse des normes en vigueur réglementées par le savoir pontifical.