Keywords :
Chômage intellectuel; Chômage des intellectuels; Travailleurs intellectuels; Experts; Expertise; Entre-deux-guerres; Histoire transnationale; Histoire de Belgique; Histoire des experts; Organisation internationale du Travail; Institut international de Coopération intellectuelle; Histoire des universités; Histoire de l'enseignement supérieur; Inflation scolaire; Suréducation; Grande Dépression; Belgique; Histoire de la statistique; Intellos précaires; Société des Nations; Histoire des intellectuels; Histoire du chômage; Communauté épistémique; Déclassement; Fondations philanthropiques; Technocratie; Numerus clausus; Prolétariat intellectuel; École unique; Démocratisation scolaire; Graduate unemployment; Unemployment of intellectuals; Intellectual unemployment; Intellectual workers; Professional workers; History of professions; Interwar period; Transnational history; History of Belgium; International Labour Organisation; International Institute for Intellectual Cooperation; History of universities; History of higher education; Overeducation; Diploma inflation; Great Depression; Belgium; History of statistics; League of Nations; History of intellectuals; History of experts; History of unemployment; Chômage; Unemployment; Epistemic community; Philanthropic foundations; Technocracy; Intellectual proletariat
Abstract :
[fr] Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur suscitent aujourd’hui de vives inquiétudes qui se manifestent tant dans les débats de société que dans les travaux des sciences sociales. De telles inquiétudes ne sont pas une nouveauté : elles ressurgissent régulièrement dans les discours depuis l’Ancien Régime, sous diverses appellations. Durant l’Entre-deux-guerres, une nouvelle expression émerge en langue française pour désigner ces difficultés : le « chômage des intellectuels ». Apparue dans le vocabulaire des spécialistes du chômage en 1923, la formule se répand au cours de la crise des années 1930, en particulier dans les travaux d’un réseau transnational d’acteurs et d’institutions revendiquant sur cette thématique l’autorité de l’expertise. Dans cette thèse, nous appréhendons le phénomène de chômage des intellectuels à travers les discours et les pratiques de ces experts : nous cherchons à comprendre comment ces acteurs ont été reconnus comme tels et comment ils ont réussi (ou non) à influencer les politiques destinées à combattre ce phénomène. Cette problématique est abordée à travers le cas belge, tout en adoptant une perspective transnationale.
En Belgique, deux figures incarnent cette expertise nouvelle : Henri Fuss, chef du service du chômage au Bureau international du Travail, et Jean Willems, directeur de la Fondation Universitaire. Fuss et Willems s’imposent durant l’Entre-deux-guerres comme des personnalités en vue de la communauté épistémique transnationale qui se constitue alors autour de l’étude « méthodique », « objective » et quantitative du « marché de l’emploi intellectuel ». Les ambitions scientifiques de ce réseau d’experts se heurtent cependant à l’ambiguïté des termes « chômage » et « intellectuels », ambiguïté qui reflète la place alors assignée dans la hiérarchie sociale aux porteurs de diplôme de l’enseignement supérieur. De plus, le parcours de ces deux figures belges révèle la dimension intrinsèquement politique de cette expertise : quoique réunies par un commun refus des solutions ouvertement discriminatoires, l’une et l’autre diffèrent par leurs méthodes d’étude du problème, par les causes et les conséquences qu’elles lui imputent, et par les remèdes qu’elles lui prescrivent. De l’issue de leur affrontement dépendra la voie que prendra la Belgique pour venir à bout du chômage des intellectuels.
[en] The hardships experienced by young graduates of higher education seeking professional integration constitute a major concern today, a concern that is reflected both in social debates and in social science literature. However, there is nothing new to the issue, which has appeared as a recurring theme of discourse under a variety of names since the Early modern period. During the Interwar period, a new expression emerged in French to describe these difficulties: the ‘chômage des intellectuels’. The phrase was first coined in the vocabulary of unemployment specialists in 1923 and spread during the crisis of the 1930s. During this decade, this expression was particularly common in the work of a transnational network of actors and institutions who claimed expert authority on the subject. In this thesis, we look at the phenomenon of ‘intellectual unemployment’ through the discourses and practices of these experts: we try to understand how these actors were recognised as such and how they succeeded (or failed) in influencing policies designed to fight this form of unemployment. We address this research topic through the Belgian case, while adopting a transnational perspective.
In Belgium, two figures embody this new expertise: Henri Fuss, head of the unemployment service at the International Labour Office, and Jean Willems, director of the University Foundation. During the Interwar period, Fuss and Willems establish themselves as leading figures in the transnational epistemic community that is being formed at that time around the ‘methodical’, ‘objective’ and quantitative study of the ‘intellectual labour market’. However, the scientific ambitions of this network of experts come up against the ambiguity of the terms ‘unemployment’ and ‘intellectuals’, an ambiguity which reflects in turn the place assigned in the social hierarchy to holders of higher education degrees. Furthermore, the stories of these two Belgian figures reveal the intrinsically political dimension of this expertise: although they are united in their rejection of openly discriminatory solutions, they differ in the methods they use to study the problem, the causes and consequences they attribute to it, and the remedies they prescribe. The outcome of their clash will determine the path Belgium takes to overcome graduate unemployment.