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Abstract :
[fr] Je vais retracer ici l’une ou l’autre étape d’un parcours réflexif, tâtonnant et pour le moment encore assez éclaté que je tente de faire à partir du problème de la papeterie. Pourquoi la papeterie ? Tout commence avec la découverte – dans les archives de la Petite école (un projet que j’ai dans le cœur et dont vous entendrez parler demain) – d’un mot de Barthes, tiré de "L’empire des signes", un texte de 1970 dédié à « un certain nombre de traits (mot graphique et linguistique) », prélevés « quelque part dans le monde » (là-bas), et formant (ces traits) un système, un « système symbolique inouï, dépris du nôtre », que Barthes appelle le Japon (11). Le Japon a mis R. Barthes en « situation d’écriture » (14), sa langue « intraduisible » lui a offert d’avoir un œil sur « les impossibilités de la nôtre », et il propose à son lecteur de s’y plonger avec lui, « jusqu’à ce qu’en nous tout l’Occident s’ébranle et que vacillent les droits de la langue paternelle », cette langue qui nous rend « propriétaires d’une culture » que nous avons tendance à naturaliser aveuglément (15). Et puis Barthes a cette phrase (117) : « C’est par la papeterie, lieu et catalogue des choses nécessaires à l’écriture, que l’on s’introduit dans l’espace des signes ; c’est dans la papeterie que la main rencontre l’instrument et la matière du trait ; c’est dans la papeterie que commence le commerce du signe, avant même qu’il soit tracé ». De là, Barthes distingue des cultures divergentes de la papeterie : aux États-Unis d’abord, où – loin d’être le support d’autant de fantasmes que chez nous – elle se doit d’être commode, ingénieuse, et de servir l’éthos plutôt décontracté mais soucieux des choses pratiques de ses usagers ; en France ensuite, où la papeterie se localise dans de nobles maisons fondées au 19e siècle, qui ne manquent pas de s’enorgueillir de « panonceaux de marbre noir incrusté de lettres d’or », alors même que cette papeterie reste au fond une papeterie « de comptables, de scribes, de commerce » (117) ; au Japon enfin où, trait curieux, malgré l’inventivité réservée – sur le plan des formes et de la qualité – « aux deux matières primordiales de l’écriture, à savoir la surface et l’instrument traceur » (120), la papeterie néglige tout ce qui pourrait ressembler à une gomme ou à ses substituts (pas de rayon gomme/tip-ex dans la papeterie japonaise).