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Abstract :
[fr] « N’oubliez pas de décrire aussi ce qui a disparu » : Evelyne Faivre-Martin, lorsqu’elle enseignait à ses élèves de première année de l’École du Louvre à décrire un objet archéologique quel qu’il soit mais bien souvent incomplet, insistait toujours sur ce point, crucial pour de futurs égyptologues mais qui n’avait rien d’une évidence pour des débutants. Car après la description vient le commentaire, qui tient compte aussi des manques, puis l’interprétation, qui propose parfois de les combler. L’égyptologie, en dernier lieu, ne consiste-t’elle pas simplement à réunir et à confronter les infimes particules perdues dans le temps d’une civilisation pharaonique dont, malgré les apparences parfois monumentales, il ne nous reste que quelques maigres vestiges éparpillés dans l’éther ?
La présente communication propose de s’attarder sur l’un des témoins les plus visibles de la vie des papyrus égyptiens, pourtant peu commenté : la lacune. La majorité des papyrus nous sont parvenus dans un état de conservation très lacunaire, incomplets ou abîmés, rongés par des insectes ou par le temps ; disséminés à travers le monde sous formes de fragments plus ou moins grands, ils attendent aujourd’hui d’être réunis et étudiés par des spécialistes. Dès l’époque pharaonique, les lacunes jouent un rôle majeur dans la transmission des textes : les copistes doivent tenir compte des manques, qu’ils sont amenés à signaler ou à combler ; les documents abîmés doivent être consolidés et réparés, ou à défaut recopiés sur d’autres supports. Les manques trahissent des altérations spécifiques et sont aussi les marques d’un état de conservation à un instant T, ou encore celles d’un usage répété et signifiant, que l’égyptologue est amené à interpréter. Les contours des lacunes forment des motifs singuliers, voire réguliers, qui sont parfois de précieux indices pour qui cherche à retracer l’histoire d’un papyrus. De manière presque paradoxale, cet essai sur l’apport des lacunes à l’étude des papyrus égyptiens s’inscrit dans le cadre théorique et méthodologique de la philologie dite « matérielle », qui s’attache à mettre en relation l’écrit et son support, conçus ensemble comme un objet archéologique à part entière.