Étude de l'impact des rituels funéraires sur le processus d'élaboration de la perte : comparaison interculturelle

Dans les sociétés occidentales, la mort est souvent dissimulée, mise à distance, voire occultée. Laporte et Vornax (2015) théorisent l’" embarrasingly dying ", cette mort qui embarrasse les vivants du fait qu’elle génère des émotions qu’il faut éviter.
Ils mettent d’ailleurs en lumière la double démission de la société envers le mourir et la mort : celle des familles dans l’implication des taches entourant la fin de vie et celle qui en résulte, à savoir la spécialisation, la professionnalisation, voire la bureaucratisation de la fin de vie. Ainsi, il n’est pas rare de voir des situations tant privées qu’institutionnelles où règnent une mise à distance émotionnelle et des attitudes défensives pouvant heurter la personne en fin de vie.
Il demeure pourtant des régions où la mort est culturellement omniprésente et très ritualisée; c’est le cas par exemple de la Corse. En effet, les rites, en plus d’exposer à la mort tant physiquement que psychiquement, apportent un cadre structurant, une place à chacun et contiennent la famille, l’unissent (Paesmans, 2006) ; il lui permettent ainsi de retrouver une " base familiale de sécurité " (Byng-Hall, 1995). L’objectif de notre recherche était de faire le lien entre le niveau de ritualisation de la mort et la capacité d’élaboration de l’événement par la famille. Nous avons mené une vaste enquête dans deux pays dont la culture entourant la mort est très différente : la Belgique et la Corse. Notre projet se base sur deux études : pour la première, nous avons réalisé des entretiens semi-structurés avec des familles endeuillées (3 familles en Corse et 3 familles en Belgique) ; pour la
deuxième étude, nous avons recueilli 394 témoignages (194 belges et 152 corses) de proches ayant vécu le décès d’un membre de leur famille par le biais d’un questionnaire en ligne. A travers des statistiques et l’analyse de discours, nos résultats montrent l’impact significatif de la pratique de rituels sur le processus d’élaboration de la perte au sein de la famille. Cet impact est d’autant plus important lorsque le décès a provoqué beaucoup de changements dans la dynamique familiale. Aussi, la perception de la qualité du lien familial s’est révélée être un indicateur important de la résolution du deuil familial que Pereira (1998) définit comme la capacité de la famille à se réorganiser après le décès et à retrouver un sentiment d’appartenance.
Au vu de ces résultats, nous pouvons ici faire l’hypothèse que la mise en place de rituels par les soignants ou la famille d’une personne en fin de vie pourrait contribuer, d’abord à la familiarisation avec la mort et à son acceptation, mais également à une cohésion d’équipe ou familiale. Ces rituels pourraient par exemple consister en l’appropriation de sa mort " (Bacqué, 2022) par la personne en fin de vie à travers le récit d’une sorte de bilan qu’elle ferait de sa vie, mais aussi à travers la transmission de ses dernières volontés. Des pistes cliniques seront proposées.