Abstract :
[fr] La thèse de doctorat porte sur l’étude du rôle du territoire et de l’espace dans le processus de réconciliation au sein des sociétés dites profondément divisées. Plus spécifiquement, la recherche s’intéresse à deux sociétés (l’Irlande du Nord et Chypre) à travers l’étude empirique des villes de Belfast et de Nicosie. La particularité des deux capitales est qu’elles portent toutes les deux les stigmates d’un conflit ethno-national, structurant dans ces sociétés. Autrement dit, elles sont toutes les deux matériellement divisées par des structures physiques qui ont été mises en place pour pacifier la violence politique et le conflit entre les communautés antagonistes. Pourtant, plusieurs décennies après l’apaisement de la violence politique, et même après la résolution politique du conflit par un accord de paix en Irlande du Nord, ces structures physiques subsistent.
Par ailleurs, si la violence politique est apaisée, il est difficile d’affirmer que ces sociétés sont stables politiquement ou que le conflit a été résolu. Le processus de négociations politiques pour un accord de paix semble s’embourber à Chypre, et ce, particulièrement depuis l’adhésion de l’île à l’Union européenne en 2004. Ce faisant, la vie se déroule toujours en parallèle de part et d’autre des lignes de cessez-le-feu assorties d’un no man’s land sous contrôle onusien, dans ce qui constitue la plus longue mission de maintien de la paix des Nations unies. En Irlande du Nord, la vie est toujours fortement ségréguée le long du clivage communautaire. De plus, il est difficile de dire que les tensions sont résolues : le contexte politique mais aussi les commémorations communautaires ravivent ponctuellement le conflit. Récemment, le processus de sortie de l’Union européenne a particulièrement secoué la région. Le Brexit est alors vu comme une menace pour l’accord de paix de 1998.
Observant le maintien dans le temps des structures physiques, qui devaient temporairement réguler la violence politique, je m’interroge sur les effets de celles-ci. Dans cette thèse, je propose de réfléchir à partir de la question de recherche suivante : « comment les dispositifs de division perpétuent-ils le conflit ? ». À partir d’une démarche ethnographique et d’un matériau empirique récolté par des entretiens compréhensifs, ainsi que des méthodes mobiles (à Belfast) auprès de personnes issues de la société civile, j’observe que ces structures – que je conceptualise comme des dispositifs de division – constituent de véritables techniques de gouvernement dans ces sociétés. Ces dispositifs interagissent alors tant avec l’environnement urbain dans lequel ils s’inscrivent qu’avec les individus qui doivent composer avec. De plus, ils déploient des effets propres. Ce faisant, ils participent à maintenir ces groupes comme antagonistes et constituent le cœur d’une politique qui divisent profondément (deeply divisive politics) (Majed, 2019a). Toutefois, je note que certains entreprennent d’adopter des contre-conduites et mettent en œuvre des pratiques de contournement de ces dispositifs en créant du lien social à travers le clivage communautaire.
[en] This doctoral thesis examines the role of territory and space in the reconciliation process in deeply divided societies. More specifically, the research focuses on two societies (Northern Ireland and Cyprus) through the empirical study of the cities of Belfast and Nicosia. The particularity of those two capitals is that they both bear the scars of an ethno-national conflict. In other words, they are both materially divided by physical structures that were put in place to pacify violent conflict between antagonistic communities. Yet decades after the political violence subsided, and even after the political resolution of the conflict through a peace agreement in Northern Ireland, these physical structures remain.
Furthermore, if the political violence has subsided, it is difficult to claim that these societies are politically stable or that the conflict has been resolved. The process of political negotiations for a peace agreement seems stuck in Cyprus, particularly since the island joined the European Union in
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2004. In the meantime, life continues separately on both sides of the ceasefire lines and the UN- controlled no-man’s-land in what is the longest-running UN peacekeeping mission. In another way, life in Northern Ireland is still highly segregated along community lines. Moreover, it is difficult to say that tensions have been resolved: the political context and community commemorations occasionally prompt conflict. Recently, the process of leaving the European Union has particularly shaken the region. The Brexit is seen as a threat to the 1998 peace agreement.
Based on the observation that the physical structures have been maintained over time, I examine and study their effects on the reconciliation process. My research is based on the following question: “How do divisive structures perpetuate conflict?” and on qualitative data gathered through an ethnographic approach and comprehensive interviews, as well as mobile methods (in Belfast). In this thesis, I observe that these structures - conceptualised as devices of division - constitute veritable “techniques of government” in these societies. These devices interact both with the urban environment in which they are located and with the individuals who have to deal with them. Moreover, they have their own effects. In so doing, they help to maintain these groups as antagonistic and form the core of deeply divisive politics (Majed, 2019a). However, I note that some people are taking steps to adopt counter-conducts and implement practices that circumvent these mechanisms by creating social links across the community divide.
Institution :
ULiège - Université de Liège [Droit, Science Politique et Criminologie], Liège, Belgium
Jury member :
Rosoux, Valérie; UCL - Université Catholique de Louvain [BE] > Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication > Institut de sciences politiques Louvain-Europe (SPLE)
Ginet, Pierre; UL - Université de Lorraine [FR] > Laboratoire Lorrain de Sciences Sociales
Féron, Elise; Tampere Universities (Finlande) > Faculty of social sciences > Tampere Peace Research Institute (TAPRI)