Une économie générale du jeu vidéo ? Notes pour un modèle d’analyse des échanges au sein des jeux vidéo

En 2018, Seth Giddings publiait un article ambitieux sur l’imaginaire économique des game studies, qui débordait largement son sujet pour s’intéresser aux liens forts mais complexes entre les jeux vidéo comme systèmes économiques – qu’il qualifiait d’économies restreintes – et le fonctionnement socioéconomique global du capitalisme tardif, soit l’économie générale dans laquelle nous vivions déjà. En conclusion, il appelait au développement d’une telle économie générale du jeu (vidéo), arguant que « comprendre les jeux et l’attitude ludique comme économies » pouvait notamment constituer un foyer de départ de nouvelles formes et ressources pour des comportements et imaginaires différents au sein de et contre l’économie culturelle dominante » (Giddings, 2018).

Presque cinq ans plus tard, cet appel semble à la fois particulièrement pertinent et toujours en souffrance. Les développements récents du secteur, de la monétisation dans les jeux free-to-play à la généralisation des gambling-like elements dans les jeux, en passant par la spectacularisation du jeu vidéo via des plateformes de streaming, conduisent à penser le jeu vidéo comme un pôle parmi d’autres au sein de l’écosystème économico-médiatique contemporain. Si la recherche discute déjà largement les modèles économiques liés à ces changements, c’est paradoxalement le niveau inférieur des économies restreintes au sein des jeux vidéo qui reste peu exploré – bien que la recherche fourmille de remarques et intuitions éparses sur le fonctionnement des échanges au sein de genres ou de jeux spécifiques (v. Hunicke, 2005 ou Clüver/van Roessel, 2021).

Nous soutenons que ce manque de systématique est en partie dû à l’absence d’un modèle d’analyse de jeu vidéo rendant compte de ces économiques ludiques. C’est pourquoi notre projet de recherche s’attachera à ébaucher un tel dispositif. Au départ des recherches existantes en théorie de l’analyse de jeu vidéo (Daneels et al., 2022), nous étudierons l’impact des échanges globaux de ressources sur la structure vidéoludique, et montrerons à quels niveaux du médium ces échanges produisent leurs effets. Nous appuierons cette démarche de développement théorique par des exemples issus d’un corpus illustratif de jeux sélectionnés pour leur simplicité procédurale individuelle, mais leur variété de systèmes d’échange d’un point de vue collectif : Tetris (Alexey Pajintov, 1984) Passage (Jason Rohrer, 2007), Cookie Clicker (Orteil, 2013) avant d’ouvrir la discussion sur l’application de notre outil d’analyse à des jeux complexes ainsi qu’à leur organisation en genres vidéoludiques. Nous conclurons en soulignant les promesses ouvertes par notre modèle ainsi que les obstacles qui peuvent entraver son développement et sa diffusion.