Abstract :
[fr] Est-il préférable de sauver cinq personnes et d’en sacrifier une seule, ou l’inverse ? Si cette question vous semble familière c’est parce qu’elle fait référence à un dilemme bien connu en philosophie, le problème du trolley. Ce dernier oppose deux courants : l’utilitarisme et le déontologisme. Le premier principe est centré sur les conséquences d’une action et sur la maximisation du bien-être ou la minimisation du mal-être ; le second est centré sur l’action en elle-même : si elle viole ou non les normes morales.
Dans un cadre expérimental, nous pouvons ainsi étudier les prises de décision morales des individus en utilisant des dilemmes de type trolley à leurs choix : utilitaires (i.e., choisir de sacrifier la personne isolée pour sauver les cinq) ou déontologiques (i.e., choisir de sacrifier les cinq pour sauver la personne isolée). Un modèle fait actuellement référence pour expliquer les jugements et choix moraux, le dual-process model (DPM, Greene et al., 2001 ; 2004). Ce dernier illustre que les situations morales qui élicitent principalement des réponses émotionnelles vont produire davantage de choix déontologiques. Inversement, les situations morales qui engagent peu de réponses émotionnelles vont permettre aux processus cognitifs d’intervenir davantage et de produire alors plus de choix utilitaires.
Sur cette base, deux facteurs apparaissent primordiaux : l’empathie (présentant une facette affective et cognitive) et les traits borderline. En effet, il est connu que de faibles niveaux d’empathie affective prédisent davantage de choix utilitaires. Les traits borderline étant liés significativement à des niveaux d’empathie affective élevés, nous avons tenté de déterminer s’ils prédisaient moins de choix utilitaires.
Dès lors, nous avons réalisé trois études pour tester ces hypothèses, ainsi qu’une revue systématique et méta-analyse de la littérature. La première étude visait à étudier les liens entre l’empathie et des dilemmes de type trolley mettant en scène des situations plus écologiques, tout en invitant le participant à incarner différents protagonistes. La deuxième étude visait à comparer des dilemmes de type trolley classiques à des dilemmes de la vie de tous les jours pour étudier comment l’empathie et les traits borderline prédisaient les choix moraux, tout en invitant le participant à incarner différents protagonistes. La troisième étude visait à répliquer la seconde sur une population clinique de patientes borderline. Enfin, nous avons conduit une méta-analyse et revue systématique de la littérature pour clarifier les liens entre empathie et jugements, choix et inclinaison morale dans les dilemmes de type trolley.
Ce travail a permis de dessiner les limites inhérentes au DPM tout en illustrant que le rôle attribué à l’empathie (voire également aux traits de personnalité de manière générale) dans les jugements, les choix et la préférence morale apparait surévalué. Enfin, nous avons pu constater que le type de dilemme et la perspective du participant dans ces dilemmes avaient un impact majeur sur les prises de décision des individus.
[en] Would you save five individuals and sacrifice one, or vice versa? If this question seems familiar to you, it is because it references a well-known philosophical dilemma, the trolley problem. This dilemma pits two philosophical schools of thought against each other: utilitarianism and deontology. The former principle focuses on the consequences of an action and the maximization of well-being or the minimization of suffering, while the latter centers on the action itself: whether it violates moral norms or not.
In an experimental context, we thus examine individuals’ moral decision-making by using trolley-type dilemmas in which they have to choose between utilitarian options (i.e., choosing to sacrifice the isolated individual to save the five) or deontological options (i.e., choosing to sacrifice the five to save the isolated individual). A model currently referenced for explaining moral judgments and choices is the dual-process model (DPM, Greene et al., 2001; 2004). This model illustrates that moral situations that primarily elicit emotional responses will produce more deontological choices. Conversely, moral situations that engage fewer emotional responses will allow cognitive processes to intervene more and thus produce more utilitarian choices.
Based on this, two factors appear paramount: empathy (comprising both affective and cognitive facets) and borderline traits. Indeed, it is known that lower levels of affective empathy predict more utilitarian choices. As borderline traits are significantly associated with higher levels of affective empathy, we attempted to determine if they predicted fewer utilitarian choices.
Consequently, we conducted three studies to test these hypotheses and conducted a systematic review and meta-analysis of the literature. The first study aimed to examine the links between empathy and trolley-type dilemmas involving more ecologically valid scenarios, all while inviting the participant to embody different protagonists. The second study aimed to compare classic trolley-type dilemmas with everyday life dilemmas to study how empathy and borderline traits predicted moral choices, all while inviting the participant to embody different protagonists. The third study aimed to replicate the second study with a clinical population of female borderline patients. Finally, we conducted a meta-analysis and systematic review of the literature to clarify the links between empathy and judgments, choices, and moral inclinations in trolley-type dilemmas.
This work has helped delineate the inherent limits of the DPM while illustrating that the role ascribed to empathy (and even personality traits in general) in judgments, choices, and moral preferences appears overestimated. Finally, we observed that the type of dilemma and the participant’s perspective in these dilemmas had a major impact on individuals' decision-making.