Abstract :
[fr] À l’instar de Chris Marker qui déclare dans Le fond de l’air est rouge, « On ne sait jamais ce qu’on filme », nous souhaitons proposer une relecture historienne de cette phrase pour l’analyse des sources issues des guerres civiles de Religion dans la France du second XVIe siècle : on ne sait jamais ce qu’on lit. Les fragments et les bribes éparses de la documentation politique des guerres de religion, documents de la pratique, mémoires, écrits de justification, sources notariées, édits et projets de discours, dépêches diplomatiques et avis nous convainquent que cette assertion est vraie autant que problématique, que les sources doivent être prises pour les actes qu’elles réalisent plutôt que rangées dans des catégories diplomatiques figées. Dès lors, une intelligence de l’économie des moments de troubles que sont les guerres civiles de Religion, conçus comme une perturbation de l’ordre du monde, apparaît plus aisément pour ce qu’ils sont : une reconfiguration des cadres politiques, administratifs, sociaux et mentaux traditionnels. À la faveur de cette reconfiguration à marche forcée, plusieurs options politiques sont mises sur la table des négociations, des moments de paix et d’alliances. Ces options politiques, portées par des groupes distincts, apparaissent dans la documentation formée par les papiers d’État. Il semble alors utile de lier l’analyse de ces papiers et la trajectoire des individus et des groupes, la forme et l’extension des réseaux politiques et clientélaires. Dans ce moment politique qui s’étend du début de la Ligue aux premières victoires d’Henri IV pour la reconquête de son royaume, l’expérience de la guerre civile est ainsi entendue au sens de l’expérience institutionnelle que font les acteurs engagés dans le long conflit civil de Religion dans la France du second XVIe siècle. Dans ce périmètre, nous forgeons l’hypothèse suivante pour guider l’analyse : comment se modifie pour résister, aux troubles, le cadre institutionnel hérité du compromis sociopolitique de la fin du Moyen Âge ?
[en] In the spirit of Chris Marker, who stated in "Le fond de l’air est rouge" (A Grin Without a Cat), "One never knows what one is filming," we seek to offer a historiographical reinterpretation of this sentiment for the analysis of sources stemming from the religious civil wars in late 16th-century France: one never truly knows what one is reading. The scattered fragments of political documentation from the Wars of Religion—practical documents, memoirs, justificatory writings, notarial sources, edicts, draft speeches, diplomatic dispatches, and advisory notes—persuade us that this assertion is as true as it is problematic. These sources should be approached for the actions they represent, rather than being pigeonholed into static diplomatic categories.
From this standpoint, a clearer understanding of the tumultuous periods known as the Wars of Religion, perceived as disruptions to the world order, emerges. These wars are revealed for what they truly were: a reshaping of traditional political, administrative, social, and mental frameworks. Amid this forced restructuring, multiple political options were presented in peace negotiations and alliance discussions. These political avenues, advocated by distinct groups, manifest in the documents that make up the state papers. It then appears beneficial to intertwine the analysis of these papers with the trajectories of individuals and groups, and with the form and expansion of political and clientelist networks.
During this political interval, spanning from the onset of the Catholic League to Henri IV's initial victories in reclaiming his kingdom, the experience of the civil war is interpreted in terms of the institutional experience encountered by the actors involved in the prolonged religious civil conflict in late 16th-century France. Within this scope, we posit the following hypothesis to guide our analysis: how does the inherited institutional framework, a legacy of the sociopolitical compromises of the late Middle Ages, adapt and endure in the face of these upheavals?