Abstract :
[fr] Alors que les études de genre et autres savoirs critiques (théories queers, études postcoloniales et décoloniales) ont fait ces dernières années l’objet d’intenses suspicions et de vives polémiques dénonçant de supposés mouvements « islamo-gauchistes » ou « wokistes » qui gangrèneraient l’université et mettraient en péril la société dans son ensemble, force est de constater que ces savoirs sont restés, depuis leurs premières formalisations autour des années 1970, essentiellement marginaux – et toujours susceptibles d’être violemment remis en cause. Cette marginalité se vérifie particulièrement dans la sphère francophone et dans le champ des études littéraires, où la question du genre (pour ne pas parler des sexualités et de la race ou du colonialisme) reste difficile à poser. Cette thèse entreprend d’examiner les causes et effets de cette impossible institutionnalisation des études de genre en littérature francophone, et de répondre à une vaste interrogation : qu’est-ce que « lire la littérature à la lumière du genre » a voulu dire, veut dire, ou peut vouloir dire ? Il s’agit d’abord d’examiner les diverses « lectures par le genre » menées en français depuis les années 1980, en proposant une « boîte à outils » synthétisant la variété des gestes et postures d’analyse déjà développées par des chercheuses féministes. Dans un second temps, cette thèse propose d’explorer de nouvelles manières de questionner les textes littéraires, à partir de l’exemple d’un corpus essentiellement narratif écrit par Aragon dans l’entre-deux-guerres. En faisant coexister des analyses interrogeant le rapport de ces œuvres à leur contexte social et politique (marqué par une relative libération des femmes et des homosexuel·les et son corollaire, une panique morale à l’endroit de ce qui passe pour une déliquescence de la « différence sexuelle », et, partant, de l’ordre social) et des lectures anachroniques s’intéressant à ce que la lectrice féministe du XXIe siècle fait aux textes ; en se penchant de manière critique sur des objets problématiques parfois peu ou mal questionnés, tels que la supposée « crise de la masculinité » ou la représentation des violences sexistes ; en expérimentant des formes d’écriture visant à troubler, dérouter, dénaturaliser nos manières traditionnelles de penser, cette thèse invite à imaginer de nouvelles façons de produire des savoirs sur le genre et sur la littérature.