Abstract :
[fr] Récemment, un pathotype d'Escherichia coli O80:H2 très virulent et peu commun, portant les gènes de la toxine de Shiga (stx), le sous-type rare de l’intimine eaeξ, et des gènes associés au plasmide pS88 des E. coli pathogènes extraintestinaux (ExPEC) a été décrit en Europe. Celui-ci est impliqué dans le syndrome urémique et hémolytique (SHU) avec bactériémie chez l’homme et il est devenu le deuxième sérotype d’E. coli shigatoxinogènes (STEC) le plus fréquemment isolé en 2016 en France (Bruyand et al., 2019). Il est également le troisième sérotype d’E. coli entérohémorragiques (AE-STEC) le plus fréquemment isolé parmi les cas de SHU en Europe en 2019 chez l’homme (EFSA 2021). Des E. coli entéropathogènes (EPEC) O80:H2 ont de plus été détectées chez des jeunes veaux diarrhéiques (Thiry et al., 2017) ; des AE-STEC O80:H2 ont également été détectées, bien que plus rarement chez des bovins adultes (Blanco et al., 2004 ; Cointe et al., 2018) ainsi que chez un veau diarrhéique en 1987 en Belgique (Thiry et al., 2017 ; De Rauw et al., 2019). L’objectif général de cette thèse a été de poursuivre l’identification du sérotype O80:H2 parmi des souches EPEC et AE-STEC isolées de veaux malades et sains en Belgique, d’étudier leur virulence et de mieux comprendre le rôle du phage Stx2d dans la pathogénicité et dans l’évolution de ces souches.
L’objectif de la première étude a été d'identifier le sérotype O80:H2 parmi des EPEC et AE-STEC isolées de veaux diarrhéiques et septicémiques et de comparer génétiquement ces AE-STEC bovines avec les AE-STEC O80:H2 humaines.
Dans cette étude, dix AE-STEC et 21 EPEC O80 ont été identifiées à partir de fèces, de contenus intestinaux et d'un rein de veaux diarrhéiques ou septicémiques. Leurs génomes ont été séquencés et comparés à 19 AE-STEC humaines. Elles appartenaient toutes au sérotype O80:H2 et au ST301, hébergeaient le gène eaeξ, et 23 des 29 AE-STEC contenaient le gène stx2d. D'un point de vue phylogénétique, elles étaient réparties en deux sous-lignées principales : l'une comprenait une majorité d'EPEC bovines tandis que la seconde comprenait une majorité d’AE-STEC bovines et humaines comprenant le gène stx2d.
Les AE-STEC, les EPEC et les STEC sont portées par les bovins adultes sains dans leur tractus intestinal, plus particulièrement dans le colon à la hauteur de la jonction recto-anale (Beutin et Fach, 2015). L'objectif de la seconde étude a été d'évaluer la présence du sérotype O80:H2 dans des souches AE- STEC et EPEC isolées de veaux laitiers sains âgés de moins de 6 mois prélevés par écouvillonnage au niveau la muqueuse recto-anale (RAMS) dans trois exploitations.
Dans cette étude, 233 RAMS ont été prélevés à trois occasions consécutives sur des veaux Holstein et ont été soumis à une PCR ciblant les gènes eae, stx1 et stx2. Au total, 148 RAMS positifs ont été ensemencés sur quatre milieux gélosés (semi-)sélectifs ; sur les 2146 colonies testées, 294 provenant de
2
69 RAMS ont été confirmées par PCR comme étant des AE-STEC, EPEC ou STEC avec une majorité d’AE-STEC (73 %). Aucun isolat n’était positif pour le sérogroupe O80.
Les gènes de la toxine de Shiga (stx) ont été transférés à de nombreuses bactéries, dont l'une est E. coli O157:H7 (Wick et al., 2005). Le point crucial de la virulence des STEC réside dans le fait que les toxines de Shiga ne sont pas codées par un gène chromosomique d’E. coli mais que leurs gènes stx sont situés dans les génomes de bactériophages qui se trouvent dans leurs hôtes en tant que prophages (Los et al., 2011). Les études d'acquisition et de stabilité du phage Stx sont donc cruciales en termes de santé publique et animale.
Les objectifs de cette troisième étude ont été d'isoler et de caractériser le phage Stx2d d’une souche STEC O80:H2, d'étudier la transduction du gène médiée par ce phage vers des souches non-STEC et ensuite, d’évaluer la survie de larves de Galleria mellonella inoculées avec ces souches transduites. Trois phages tempérés ont été induits et isolés de souches STEC bovine O80:H2 par rayonnement UV. Le gène stx2d d’un de ces phages a été transduit dans cinq souches non-STEC et son génome a été analysé. Trois souches : K12-MG1655, K12-DH5a et O80:H26 ont été transduites avec succès. Ces transferts ont été confirmés par une PCR ciblant le gène stx2d. L’ADN génomique du phage a été extrait puis analysé. Le phage fait partie de la classe des Caudoviricetes, il est stable dans les nouvelles souches STEC après trois repiquages successifs et présente des résistances à température et à pH modérés. Son génome présente de nombreuses protéines impliquées dans le cycle lysogénique. Les expériences en modèle Galleria mellonella ont montré que les souches transduites provoquaient des taux de mortalité significativement plus élevés que les souches non transduites respectives.
En conclusion, non seulement les EPEC mais aussi les AE-STEC O80:H2 sont présentes chez les veaux diarrhéiques et septicémiques en Belgique et sont génétiquement apparentées aux AE-STEC humaines. Les jeunes veaux laitiers en bonne santé sont des porteurs sains d'AE-STEC et d'EPEC en Belgique ; le sérotype O80:H2 restant non identifié à ce jour dans cette catégorie d’animaux.
Ces résultats confirment la nécessité de comprendre l'évolution des AE-STEC bovines et humaines et des EPEC O80:H2. Pour cela, l’étude sur le transfert de gène de la toxine de Shiga médiée par le phage Stx2d a montré que celui-ci peut être transféré à des souches non-STEC et contribuer à leur virulence dans le modèle des larves de Galleria mellonella. La surveillance des souches (AE)-STEC O80:H2 est essentielle au vu de leur présence dans certaines catégories d’animaux et du risque potentiel représenté par la transduction du gène stx.