Abstract :
[fr] Édouard Louis est l'auteur de trois textes prenant pour sujet divers épisodes de sa vie : "En finir avec Eddy Bellegueule" décrit et questionne son enfance difficile dans un village déshérité de Picardie où le petit Eddy souffre de l'homophobie de son milieu ; "Histoire de la violence" retrace un viol et une tentative de meurtre subis par l'auteur en 2013, et interroge les origines de ces actes de violence ; "Qui a tué mon père", enfin, s'attache à une description plus précise de sa relation à son père, ainsi qu'à une dénonciation des décisions politiques ayant conduit à son déclin physique.
L'écriture, et plus précisément l'écriture de soi, est ainsi associée chez Édouard Louis à une recherche de vérité et de sens, à un besoin de décrypter les événements vécus. Il s'agit également de formuler un engagement plus vaste que le « moi », d'attirer l'attention sur une catégorie de la population française qui n'est pas reconnue par les discours dominants et qui souffre de cet abandon de la part de la classe politique. Édouard Louis propose ainsi des textes où l'intime est toujours étroitement et indissociablement mêlé au politique.
Alors que cet engagement est généralement analysé à la lumière de la sociologie bourdieusienne, intertexte évident de l'écriture d'Édouard Louis, cet article questionne la place du genre dans cette production, qui gagne à être lue dans une perspective queer.
L'objectif en est moins de faire une analyse queer de la production de Louis, qui permettrait de questionner sa représentation du genre et de la sexualité, que de montrer en quoi le geste d'écriture de cet auteur est informé par les études queer ; autrement dit, en quoi Edouard Louis lui-même fait une analyse queer de sa propre existence. Ce dispositif d'écriture de soi par l'assimilation de concepts critiques queer (tels que la performativité du genre, le spectacle du « placard de verre » et l'étroite cohésion entre intime et politique) est constant dans sa production, qui semble se poser inlassablement, de livre en livre, la même question : celle de la reprise de contrôle sur des discours dominants et violents qui condamnent les opprimés à subir et reproduire sans le savoir leurs oppressions, parfois multiples.