"Exposer la vulnérabilité. Du récit de deuil à la critique sociale dans Examen de mon père de Jorge Volpi"

Dans le cadre de cette journée d’étude consacrée aux sphères publiques et aux territoires de
l’intime, je voudrais proposer l’analyse d’une œuvre récente de l’écrivain mexicain Jorge Volpi,
intitulée Examen de mon père (2016). Ce texte se centre sur la figure du père de l’auteur,
récemment décédé et sur la reconstitution littéraire de son portrait. En laissant entrer le lecteur
au sein du nid familial et en lui révélant une part de son intimité, l’auteur de ce texte s’expose
aux accusations d’égocentrisme voire d’exhibitionnisme dont sont fréquemment victimes les
« récits du moi ». À cheval sur les discours biographique et autobiographique, cet Examen de
mon père propose cependant une exploration originale de l’intimité se fondant sur une analogie
constante entre le corps humain (celui du père de l’auteur) et le corps social. D’une part, la
confrontation des corps du père et du fils permet à ce dernier une mise en récit de la mémoire
familiale et la mise au jour d’un héritage idéologique et d’une façon d’être au monde qu’il
interroge et critique. C’est là l’objectif des récits de filiation qui offrent à leurs auteurs, grâce
au détour par la vie de l’autre, une meilleure compréhension de leur propre existence et de leur
propre personnalité (Viart). D’autre part, en articulant cette recherche personnelle (la « quête
du père ») autour du thème du corps -d’un côté le corps malade et vieillissant du père, de l’autre
le « corps » meurtri d’un pays en proie à la violence et à la corruption-, il me semble que l’auteur
parvient à mettre en évidence une vulnérabilité partagée par l’individu et par la société. Faire
de l’expérience personnelle du deuil le prisme à travers lequel questionner la société offre
également la possibilité de penser cette vulnérabilité en articulant l’expérience passée et la
réalité présente. Grâce aux caractéristiques de l’essai, genre auquel Volpi emprunte afin
d’élaborer ce double discours intime et public, cet Examen de mon père transforme l’écriture
du « moi » en texte critique et engagé. L’analyse nous permettra d’étudier cet équilibre fragile
entre la voix personnelle qui sonde le plus intime de l’être et la voix de l’essayiste qui propose
sa propre vision du monde dans lequel il vit tout en invitant le lecteur à le rejoindre dans sa
réflexion.