Abstract :
[fr] La traduction, entendue comme passage d’un texte d’une langue à une autre, est le fait d’une série d’agents (éditeurs, agents littéraires, directeurs de collection, traducteurs, etc.) qui sont autant de passeurs, d’« importateurs littéraires » (Wilfert 2002). Dans cette communication, j’étudierai le rôle du traducteur et du retraducteur comme agents de passage.
Un traducteur peut exercer sa fonction d’agent à trois niveaux (Koskinen dans Paloposki 2009). Au niveau extratextuel, d’abord, il peut notamment intervenir dans la sélection du texte à traduire et se comporter ainsi en gate-keeper (Bourdieu 1990) ou participer à mieux faire connaître une littérature encore confidentielle. Au niveau paratextuel, ensuite, le traducteur peut contribuer, par une préface ou des notes par exemple, à faciliter l’entrée d’un texte dans la culture cible. Au niveau textuel, finalement, c’est à lui qu’il revient de transposer dans la langue d’arrivée le texte original en adoptant les stratégies de traduction qu’il juge adéquates.
Qu’advient-il de ce rôle de passeur lorsqu’il ne s’agit plus d’introduire un texte étranger dans une nouvelle sphère culturelle, mais bien de retraduire une œuvre dont il existe déjà une traduction dans la même langue ? En quoi le rôle d’agent du retraducteur diffère-t-il de celui du premier traducteur? J’exposerai d’abord les modalités particulières selon lesquelles le retraducteur peut exercer sa fonction de passeur d’un point de vue théorique, en revenant sur les trois niveaux cités précédemment. Je m’appuierai pour ce faire sur les travaux de divers chercheurs en retraduction et mettrai mes observations en lien avec la Retranslation Hypothesis (née de Berman 1990 et Gambier 1994).
Je me pencherai ensuite, en guise d’exemple, sur une grande figure de la traduction littéraire, Albert Bensoussan. Traducteur d’un nombre impressionnant d’auteurs espagnols et hispano-américains, il a indéniablement joué un rôle déterminant de passeur et fait découvrir tout un pan de la littérature aux lecteurs francophones. Au cours de sa carrière, il a également été amené à retraduire plusieurs romans, dont Conversación en La Catedral de Mario Vargas Llosa, qui fait l’objet de ma thèse de doctorat.
Mon objectif sera de montrer, d’une part, comment Albert Bensoussan envisage son rôle de passeur et, d’autre part, comment il l’exerce dans les faits, qu’il s’agisse de traduire ou de retraduire. Il expose en effet sa conception personnelle de la traduction dans plusieurs essais où il met l’accent sur le respect du texte, de l’Étranger et du lecteur. Cette triple préoccupation se reflète par ailleurs dans ses textes eux-mêmes et dans les paratextes qu’il conçoit, mais aussi dans les actions qu’il mène au niveau extratextuel.