Le Nouveau Management Public et la justice belge : une analyse exploratoire des temps 1.0 et 2.0

L'ordre judiciaire belge vit depuis le milieu des années 90 une période de mutations. Les changements observables font généralement suite à des décisions politiques dont les conséquences se matérialisent par une série de réformes des procédures judiciaires. Mais à côté de ces modifications liées aux missions exclusives des institutions judiciaires, on note également que ces dernières sont inscrites dans des processus de changements plus généraux liés au concept de "service public". En d'autres termes, depuis quelques années, les conditions d'exercice de l'activité juridictionnelle ont sensiblement évolué. Dans la foulée de la montée de l'Etat managérial ou "rationalisateur", des "affaires" qui ont éclaté dans le courant des années quatre-vingt-dix (avec comme apogée la marche blanche à Bruxelles), de la médiatisation des manquements de l'institution justice ou encore d'un rapport social à la norme modifié, les exigences à l'égard des organisations judiciaires se sont renforcées et multipliées étant à l’origine d’une première ère de managérialisation (soft) de la justice. Les années 2010 à 2014 pourraient consacrer l’entrée de la justice dans une seconde phase de réforme que l’on serait tenté de qualifier d’ère du Management 2.0. Notre hypothèse est que les caractéristiques de cette seconde phase de managérialisation pourraient initier un « paradigm shift » pour la justice et ses magistrats. La réforme votée au parlement en 2012 et 2013 et devenue pour une part significative effective en avril 2014, pourrait permettre d’assister à une transformation profonde des points de repères organisationnels et culturels au sein du monde judiciaire. Il suffit de penser aux impacts du double mécanisme de contractualisation qui sera mis en œuvre. En premier lieu entre le politique et les collèges des Cours et Tribunaux et du Ministère public puis dans un second temps entre ces deux collèges et les différentes juridictions qui en ressortissent. Cette contribution s’attachera par conséquent à (1) retracer brièvement le processus de managérialisation de « l’ère 1.0 » et les caractéristiques qui l’accompagnaient (de « grandes réformes » avortées mais une performativité effective par le biais de l’introduction parcimonieuse de différents dispositifs : statistique judiciaire, mandats pour les chefs de juridictions, rédaction de plans de gestion et de rapports d’activités, mesure de la charge de travail, etc.) dans les années 1995 et suivantes et à (2) décrire dans les grandes lignes la récente réforme de la justice belge tout en tentant, de manière prospective et exploratoire, de mettre en perspective les enjeux qui y sont liés : risques d’atteintes à l’indépendance interne et externe des magistrats et des juridictions, pression à la performance quantitative au détriment de la qualité, accélération des processus judiciaires pouvant mener à des procédures juridictionnelles expéditives, etc.