Abstract :
[fr] J’aimerais reprendre la question de la métaphore visuelle, en prenant le cinéma pour terrain d’enquête.
Ce n’est pas nécessairement une bonne idée ! Pour qu’elle intéresse le thème du colloque il faudra prendre cette question par un biais qui n’est pas sans parti-pris. Deux exemples le font voir. La critique décèle une métaphore de coït au dernier plan de North by Northwest (un train s’engouffrant dans un tunnel) dès lors que, lors du plan précédent, Cary Grant (ou plutôt le personnage qu’il interprète) couchait Eva Marie-Saint, dans un baiser langoureux, sur le lit-banquette d’une cabine de ce train. Elle en voit une autre, plus globale, dans Gravity, où le sauvetage d’une astronaute donne à imaginer un enfantement (en latin, gravida signifie « enceinte »). Il serait difficile de nier que ces interprétations ont quelque chose à voir avec la métaphore, même s’il y a un certain nombre de points techniques (en rhétorique et en sémiotique) à discuter pour en admettre l’application. Mais, à mon avis, il n’y a pas pour autant de quoi qualifier ce plan ou ce film de « poétique ». Si on y prétendait, la poésie risquerait bien de n’être qu’une manière de qualifier ce qu’on trouve beau au cinéma. Or je voudrais que la question de la métaphore visuelle (ou de toute autre figure) engage autrement la poésie : qu’il y ait de bons films qui ne soient pas poétiques, et aussi qu’il y ait des films poétiques ratés, voire mauvais, comme il en est de la poésie dans le champ de la littérature. C’est à ce prix, — celui du discernement esthétique, — que la question mérite d’être posée à mes yeux.
Aussi, après avoir rappelé dans les grandes lignes le fonctionnement rhétorique de la métaphore (in absentia, in præsentia), ainsi que son statut herméneutique (usée, topique, vive), je voudrais m’attacher aux effets de la figure, en jaugeant le mouvement qui l’anime. Sans essentialiser la poésie, sans renchérir par conséquent sur les exaltations d’un Meschonnic, je tâcherai de montrer en quoi le rythme, la ressemblance mythique ou l’événement, pris ensemble ou séparément, distinguent au cinéma certains usages de la métaphore et suscitent un pouvoir poétique, capable de suspendre la signification sans l’abolir tout à fait. L’invisible n’est pas l’indicible.