Abstract :
[fr] La République d’Haïti, couramment Haïti, occupe la partie occidentale de l’Ile d’Hispaniola
et est située à la frontière des plaques tectoniques Nord-Américaine et Caraïbes. Elle est traversée
par plusieurs failles actives. Les mieux connues sont la faille Septentrionale et la faille Enriquillo
Plantain Garden (EPG) qui sont deux failles majeures de direction plus ou moins E-Wparcourant
respectivement le nord et le sud du territoire. A cause de la présence de ces structures, Haïti est
exposée à un aléa sismique majeur qui, associé au niveau élevé de vulnérabilité de la population,
donne lieu à un haut risque sismique capable de provoquer des catastrophes telles que celle liée au
séisme du 12 janvier 2010. Ce tremblement de terre de magnitude 7 est l’un des plus meurtriers
de l’histoire, laissant à son compte environ 200000 morts, 300000 blessés, près de 1.5 millions
de sans-abris et des pertes économiques équivalentes à la presque totalité du produit intérieur
brut (PIB). Un tel événement n’est certainement pas le dernier à se produire en Haïti qui, dans
le passé, a déjà connu plusieurs séismes majeurs dont ceux de 1751 et de 1770 qui ont ravagé
Port-au-Prince et celui de 1842 qui a détruit la ville du Cap-Haïtien. Et pour rappel, le séisme
du 6 octobre 2018, soit 8 ans après, d’une magnitude de seulement 5.9, a provoqué des dégâts
significatifs dans le nord-ouest du pays.
Afin de contribuer à l’amélioration de la prévention du risque sismique, un projet de
coopération entre la Belgique et Haïti (PIC 2012 - 2016) a été mis sur pied. La présente thèse de
doctorat s’inscrit dans le cadre de ce projet et a pour objectif l’étude de l’aléa sismique local
sur deux zones situées le long de la portion Est de la faille Enriquillo Plantain Garden, sur les
contreforts du massif de la Selle. La première, Fond Parisien, est une zone rurale, localisée à
proximité de la frontière haïtiano-dominicaine et représente une zone probable d’extension de la
capitale, Port-au-Prince. La seconde, Gros-Morne, est une petite colline entièrement construite
et située plus près de Port-au-Prince, et qui a été sévèrement touchée lors du tremblement de
terre du 12 janvier 2010.
Cette étude est réalisée à partir de méthodes géophysiques de surface. La technique du
rapport spectral H/V a été appliquée pour étudier la fréquence de résonance des sites cibles et
l’azimut du champ d’ondes. De plus, l’évaluation des facteurs d’amplification a été réalisée en
utilisant des rapports spectraux site sur référence (SSR) obtenus à partir de tremblements de terre
enregistrés par un réseau sismique temporaire installé sur chacune des deux zones. En utilisant
la méthode d’analyse multitrace des ondes de surface (MASW), les propriétés sismiques des
couches peu profondes ont été étudiées. Puis, les résultats ont été comparés aux données locales
de tomographie de résistivité électrique (ERT). Enfin, les résultats de la fréquence de résonance
fondamentale, de l’amplitude et de la vitesse de l’onde de cisaillement ont été cartographiés et
combinés pour obtenir la distribution des effets de site ou de l’aléa local.
Ces résultats mettent en évidence une zone E-W de faibles vitesses et de faibles résistivités
dans la partie centrale de Fond Parisien. Ces faibles vitesses vont de 200 m/s à 450 m/s et sont dû à des causes à la fois tectoniques et lithologiques. Les causes tectoniques sont liées au
plissement des roches alors que les effets lithologiques qui ont été observés dans la partie Est
sont le résultat d’un remplissage sédimentaire marqué par des résonances à une ou plusieurs
fréquences allant de 0.7 Hz à 20 Hz. Les faibles valeurs de résistivités sont comprises entre
1 m et 150 m et sont causées non seulement par des activités tectoniques et la présence
de sédiments fins mais encore par l’infiltration et le stockage d’eau saumâtre dans les couches
souterraines. On note aussi une influence significative de la faille EPG sur l’orientation principale
du champ d’ondes sismique. Au voisinage de cette faille, les azimuts sont en effet parallèle à
l’orientation de la faille. Ces résultats montrent aussi de plus forts potentiels d’effets de site dans
le bassin sédimentaire. De fortes amplifications du mouvement sismique ont été mesurées pour
les sites bordant le bassin au nord et à l’ouest. Au nord et au sud-ouest, ces amplifications ont
probablement pour origine des irrégularités topographiques localement couplés à des dépôts de
sédiments tandis qu’au centre de la partie ouest, l’effet de site résulte d’activité de plissement.
Pour la colline de Gros-Morne, en plus de l’application des méthodes géophysiques de
surface, les effets de site ont été investigués à partir d’une géomodélisation 3D d’une modélisation
numérique permettant de déterminer l’influence de la topographie sur l’amplification du mouvement sismique. L’ensemble des mesures géophysiques montrent un potentiel d’effet de site allant globalement de faible à modéré enregistrés. Les plus forts potentiels d’amplification du mouvement sismique sont susceptibles d’être observés dans la partie sud ouest de la colline tandis que les effets de site les plus faibles seront enregistrés au sommet et dans la partie N-E de la colline. Les rapports spectraux H/V montrent cependant une grande variabilité de fréquences de résonance et d’amplitudes, en particulier sur le sommet de la colline, autour de l’Hotel Montana où les valeurs de fréquence de résonance et d’amplitude varient sur de très courtes distances. Les amplitudes vont généralement de faibles à modérées (1.5-6.5) à une ou plusieurs fréquences différentes pour le même site. Les fréquences de résonance sont comprises entre 0.5 et 24 Hz mais avec une prédominance de celles comprises entre 7 et 10 Hz. Les vitesses d’ondes de cisaillement varient de 300 à 700 m/s pour une profondeur de 15 à 20 m, avec les valeurs les plus élevées mesurées dans la partie N-E de la colline et à son sommet également marqué par les résistivités les plus élevées. En combinant les résultats de MASW et ceux des rapports spectraux H/V bruit ambient, nous avons pu procéder à une estimation de l’épaisseur des couches superficielles résonantes. Les résultats de cette évaluation qui a permis de mettre en évidence des couches plus épaisses au coin S-W de la colline ont été utilisés pour produire un modèle de représentation 3D de la colline.
Notre modélisation numérique étudie l’amplification du mouvement sismique en appliquant
la technique de rapports spectraux site sur référence (SSR) en diverses stations fictives placées le
long d’une section transversale (extraites du géomodèle 3D) parallèle à l’axe le plus court de la
colline et passant par le sommet de cette dernière. Elle considère deux modèles: l’un purement
topographique et l’autre incluant une composante liée à l’effet d’une couche superficielle meuble
surplombant le rocher. A partir de la modélisation numérique, nous avons pu détecter un peak
topographique aux environ de 1 Hz dont l’amplitude est d’autant plus élevée qu’on est plus
proche du sommet et d’autant plus faible qu’on se rapproche du pied de la colline. Ce peak
qui est aussi identifié sur les courbes de rapports spectraux NS calculés en utilisant les données
de séismes enregistrés par les stations du réseau temporaire, nest pas dètectè par les mesures
H/V bruit ambient. Ce qui laisse supposer une incapacité dela méthode H/V bruit ambient à
investiguer les effets de site topographiques. Ces modèles mettent également en évidence des
peaks à plus haute fréquence dont l’origine est liée à aux effets combiné des couches de surface etde la topographie.
Dans l’ensemble, ce travail de recherche a permis une meilleure compréhension de la
distribution de l’aléa sismique local sur les deux sites cibles. A partir d’une méthodologie
nouvellement appliquée à Haïti consistant en une intégration de plusieurs méthodes géophysiques,
il a permis de distinguer, pour Fond Parisien, des zones où l’on peut très bien construire. Cellesci
sont localisées dans la partie nord et englobent le Parc Quisqueya et les terrains situés à
l’Est de ce parc ainsi que le village ‘La Source’ dans la partie sud. Cependant, de potentiels
risques d’inondation doivent être pris en compte dans le village. Dans le reste de Fond Parisien,
soit la partie centrale et la partie sud, on devrait construire avec prudence en tenant compte
de la forte influence de la faille EPG et des couches de sédiments fins sur l’amplification du
mouvement sismique. Pour la colline de Gros-Morne, cette thèse préconise un couplage d’effets
topographiques et lithologiques à l’origine de l’amplification du mouvement sismique. La même
approche intégrée a permis d’établir une correspondance entre les dommages observés suite au
séisme du 12 janvier 2010 et des amplifications dû à la présence de couches meubles en surface
uniquement pour certaines parties de la colline, laissant ainsi supposer que d’autres facteurs
tels que la vulnérabilité des constructions peuvent avoir joué un rôle crucial dans l’intensité des
dégâts observés. Ce travail a en outre permis de faire ressortir la complexité des effets de site au
sommet de la colline marqué par une grande variabilité de l’amplification sur des distances de
l’ordre de la dizaine de mètres. Laquelle variabilité n’aurait pas pu être détectée par un travail
de macrozonage.