Des valeurs au projet: peut-on se passer de l'architecte?

Plus d’un siècle après l’ouvrage fondateur d’Aloïs Riegl (1903), le processus d’évaluation patrimoniale, étape essentielle du diagnostic, fait aujourd’hui l’objet de polémiques au sein du monde académique. Après avoir reflété la multiplication des catégories et outils depuis le début du 21e siècle, les publications les plus récentes font état d’une remise en question d’un processus trop largement implicite et monopolisé par un “discours patrimonial autorisé” persistant à ne prendre en considération que les aspects matériels des bien culturels (Smith 2006). Par ailleurs, en France, la littérature récente sur la « fabrique du patrimoine » et les « émotions patrimoniales » a mis en évidence les différents registres de valeur propres à l’expert et au profane (Heinich 2012).
Face à la diversification des patrimoines et l’implication grandissante des usagers au sein des processus décisionnels, les modèles d’évaluation sont fondamentalement repensés pour plus d’inclusivité (Fredheim-Khalaf 2016). Au sein de cette littérature particulièrement clarifiante, le restaurateur – pour le patrimoine bâti, l’architecte – est singulièrement absent; centrés sur l’étape de l’identification, les ouvrages et articles ne se risquent que rarement à questionner les implications opérationnelles de l’évaluation et le rôle du restaurateur. Sans prétendre combler cette lacune, cette communication se propose, après un bref état de la question, de susciter le débat sur la place de l’architecte dans le processus d’évaluation patrimoniale. Ni profane, ni expert – au sens où l’éthique de l’expert lui interdit toute émotion (Heinich 2012) –, l’architecte détient-il le pouvoir de déceler une « valeur potentielle » au sein de son objet?