Abstract :
[fr] Contexte : Depuis 2014, dans le cadre de politiques de santé et de protection sociale, le Bénin, le Mali et le Sénégal ont élaboré des procédures de ciblage « actif » des personnes vulnérables ou indigentes, par opposition à l’identification « passive », au point de service, qui prévalait jusque-là. Appuyé par la Banque Mondiale dans le cadre des programmes de filets sociaux, ce modèle de ciblage repose sur une pré-identification communautaire validée par une enquête sur les moyens d’existence (Proxy Means Testing, PMT) et s’est imposé comme méthode nationale et unique. Cette recherche vise à analyser de façon comparative les procédures nationales de ciblage et à rendre compte des difficultés de mise en œuvre de ce modèle « mixte » supposé limiter les erreurs d’inclusion et d’exclusion. Elle ouvre une discussion concernant la mise en place de Registres nationaux uniques.
Méthode : Cette étude se base sur une revue documentaire et des enquêtes socio-anthropologiques de terrain réalisées en 2016 et 2017. Des entretiens semi-directifs ont été menés avec diverses parties prenantes aux niveaux institutionnel et opérationnel, à Kaolack (Sénégal), Bamako, Bougouni et Dioïla (Mali) et dans le Mono (Bénin).
Résultats : Bien que des différences de procédures existent entre les trois pays, notamment l’instauration de quotas via un ciblage géographique préalable au Sénégal, une même logique prévaut. Des comités locaux, présumés fins connaisseurs et représentatifs de la population, pré-identifient des individus ou ménages pauvres, dont les conditions d’existence sont ensuite vérifiées par des enquêteurs indépendants. L’enquête PMT (in)valide ainsi les choix effectués au niveau communautaire à partir de critères théoriquement objectifs, quantifiables et pertinents pour classer les ménages selon leur niveau de pauvreté. Cependant, de nombreuses erreurs d’inclusion et d’exclusion ont été dénoncées par les acteurs au Bénin comme au Sénégal. Elles sont associées à des pratiques de clientélisme ou de favoritisme lors du ciblage communautaire ainsi qu’aux biais inhérents au dispositif d’enquête et à ses difficultés de mise en œuvre. Face à cette « revanche des contexte », connue et reconnue tant au niveau opérationnel qu’institutionnel, des procédures de recours, des ajustements et de nouvelles vérifications sont envisagées ou mises en œuvre, sans remise en question du modèle.
Conclusion : Ce modèle mixte d’identification des indigents sous-tend aujourd’hui la création de Registres nationaux/sociaux uniques, qui ont pour objectif de mieux coordonner les actions et cibler les bénéficiaires des différents programmes sociaux. Au-delà des erreurs de ciblage et des dysfonctionnements constatés sur le terrain, la mise en place de ces registres ne peut s’affranchir d’une réflexion critique sur le caractère dynamique de la situation d’indigence, ainsi que sur les conséquences d’un tel dispositif sur la cohésion sociale, dans un contexte où les taux de pauvreté sont élevés et la logique de redistribution des bénéfices au sein de la population semble prévaloir au niveau local.