Etude morpho-fonctionnelle comparée du système de prise de nourriture chez différentes espèces de Serrasalmidae (Characiformes)

Si la majorité des histoires sur les piranhas sont généralement sanglantes et exagérées, elles reposent néanmoins sur un trait de caractère : la force développée par leurs mâchoires pendant la prise de nourriture est réellement exceptionnelle. Il a en effet été avancé que les piranhas noirs (Serrasalmus rhombeus) peuvent exercer une force de morsure très importante puisque, à taille égale, elle serait trois fois plus puissante que celle des grands requins blancs. Cette force ne serait pas le seul apanage des piranhas mangeurs de chair, car une force importante semble aussi requise chez les espèces-sœurs herbivores pour pouvoir casser les coquilles des graines et des fruits dont elles se nourrissent. La force développée par les mâchoires de ces herbivores pendant la prise de nourriture n’a cependant jamais été étudiée, ni comparée avec celle des piranhas carnivores. L’objectif de ce travail de recherche est de mesurer des forces de morsure chez diverses espèces de Serrasalmidae et de comparer le système de prise de nourriture des deux régimes alimentaires (carnivore vs herbivore).
Différentes approches ont été réalisées. (1) Des forces de morsure ont été mesurées in-vivo chez quatorze espèces de poissons Serrasalmidae (7 espèces carnivores vs 7 espèces herbivores) à l’aide d’un transducteur de force piézo-électrique. (2) Des forces de morsure théoriques ont été calculées à partir de la section transversale du muscle adducteur associé aux mâchoires. (3) La morphologie du muscle adducteur de la mandibule et la forme de la mâchoire inférieure ont été examinées chez ces mêmes espèces via des méthodes de dissection et de morphométrie géométrique. (4) Pour la mâchoire inférieure, des rapports de bras de levier ont été estimés pour déterminer et comparer le mode de transmission des forces de morsure.
Quelle que soit l’approche envisagée, les espèces carnivores ont une valeur de force de morsure significativement plus élevée que celle des espèces herbivores de même taille et même masse. Le muscle adducteur de la mandibule est d’ailleurs beaucoup plus développé chez les espèces carnivores (1.5% de la masse totale du corps) par rapport aux espèces herbivores (0.4%). De plus, les carnivores ont une forme de mâchoire inférieure distincte de celle de leurs cousins herbivores. La mandibule des espèces carnivores est plus allongée avec un plus grand nombre de dents disposées sur une structure dentigère plus grande. La mandibule possède aussi un os articulaire réduit. Cette forme amène l’alignement de l’articulation « carré-articulaire » sur la ligne d’occlusion des dents. Par conséquent, la mâchoire des piranhas présente des points de ressemblance avec une paire de ciseaux. Les espèces herbivores ont par contre un os articulaire plus grand et plus large qui modifie la morphologie de la mâchoire inférieure avec le positionnement des dents au niveau antérieur. Le système de prise de nourriture rencontré chez les herbivores se rapproche de celui d’un étau.