De ferrovipathe à vaporiste. Ethnographie de la restauration de locomotives à vapeur

Voilà un demi-siècle, quand les sociétés nationales de chemin de fer ont délaissé les locomotives à vapeur, des amateurs ont décidé de sauvegarder ce patrimoine ferroviaire. Depuis, leurs associations recrutent chaque jour des volontaires, issus d'horizons variés. Le débutant commence par trier des boulons, poncer un châssis ou appliquer un enduit contre la corrosion. Un tuteur lui apprend ensuite comment allumer et alimenter un foyer à charbon. En dépit de ce compagnonnage, le quotidien des volontaires ne correspond pas totalement à celui des artisans (Sennett, 2010). S'ils s'identifient volontiers aux cheminots, ils critiquent les sociétés nationales qui délaissent leur patrimoine. Comme le métro (Thibault, 2013) ou les automobiles (Dant, 2010), les locomotives se restaurent en coulisse. Leurs réparateurs ne bénéficient donc pas de la reconnaissance du public. Ils n'entendent pas moins opérer avec «professionnalisme» : ils maintiennent en activité d'antiques machines tout en respectant les (exigeantes) règles de sécurité actuelles. Et ils y arrivent sans disposer de pièces de rechange. Ainsi, malgré son ressort nostalgique, la préservation ferroviaire préfigure les collectifs actuels de réparateurs («repair café»). Loisir, sacerdoce, travail-à-côté, artisanat, tremplin pour l'emploi ? La configuration protéiforme de la restauration de locomotives à vapeur interroge la pertinence des catégories sociologiques susceptibles d'en rendre compte.