Du mythe au concret : le statut de l'exemple historique chez Sartre

Dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss critique le traitement sartrien de l'histoire : derrière la question centrale de la Critique de la raison dialectique, « à quelles conditions la connaissance d'une histoire est-elle possible ? », il faudrait comprendre : « à quelles conditions le mythe de la Révolution française est-il possible ? ». Les exemples de luttes qui constituent ce que Sartre appelle le « lieu du concret » ne seraient intelligibles que moyennant une structure de sens sous-jacente – la Révolution comme mythe de référence – dont elles ne seraient que des variantes ou des transformations. Le mythe est la condition structurale de toute politique, y compris celle des modernes, suspendue à l'exigence d'avoir à se situer par rapport à la Révolution. Prenant acte de ce « regard éloigné » que Lévi-Strauss porte sur Sartre, et plus largement, sur la conscience historique des modernes, on se propose de revenir sur la fonction dévolue aux exemples historiques dans la théorie sartrienne de la pratique : loin de se complaire dans une histoire pour philosophes, qui ne rencontrerait le concret qu'à grand renfort d'exemples philosophiquement « nobles » et forgés ad hoc à la mesure d'un Cogito anhistorique, Sartre n'a de cesse de parasiter l'exemple de la Révolution (et le grand récit qui le sous-tend) pour en récolter des effets de sens en marge de l'histoire officielle, dans des micro-histoires singulières, qui sont comme autant de « contre-histoires » (selon l'expression de Foucault). Les exemples servent à explorer l'histoire dans ses marges : L'Idiot de la famille à l'appui, on tentera de le montrer avec des exemples que prend Sartre de pratiques portées par une double logique contradictoire, de transformation du réel et d'irréalisation dans des mythes.