Abstract :
[fr] Si les pratiques de détournement du jeu vidéo par les joueurs attirent depuis quelques années l’attention des chercheurs (voir Hellekson et Busse, 2006, concernant les fanfictions, ou Lowood et Nitsche, 2011, concernant les machinimas, entre bien d’autres), et si leurs travaux ne cessent d’évoquer les interconnexions qui lient ces phénomènes, ces mêmes interconnexions restent encore peu problématisées. Bien qu’inscrite dans la continuité de ces premières recherches, la présente communication se propose donc d’envisager les détournements de jeux vidéo comme un seul et même objet afin de mesurer ce que les différentes pratiques de création amateur partagent, non dans leurs organisations propres, mais dans le rapport qu’elles entretiennent avec le jeu.
Ce positionnement se nourrit, d’autre part, des diverses théories abordant le jeu sous l’optique du play (Henriot, 1969 ; Genvo, 2011 ; Triclot, 2011 ; etc.). Plutôt que de considérer le jeu comme la propriété d’un objet clos et fini, celles-ci le définissent comme une « expérience instrumentée » (Triclot, 2011 : 14) qui ne pourrait exister sans l’adoption préalable, par l’utilisateur, d’une « attitude ludique » (Henriot, 1969 : 73). Cette approche a l’avantage de ne pas cloisonner le concept de jeu à l’intérieur des dispositifs qui lui sont traditionnellement associés et de permettre l’appréhension de pratiques ludiques « périphériques », investissant des supports qui ne sont pas nécessairement « étiquetés » comme des jeux. L’écriture de fanfictions, la réalisation de machinimas, ou encore les performances ludiques détournées telles que le speedrun sont, par exemple, autant d’activités qui prennent naissance dans le contexte d’une activité de jeu mais qui débouchent sur la création d’œuvres non vidéoludiques (des textes et des vidéos). Or étudier ces pratiques de détournement du jeu vidéo à l’aune des théories du play permet de les envisager comme faisant partie intégrante de l’expérience ludique des joueurs et comme prolongeant le jeu (en tant que play) hors de son support initial (le game).
Sur la base de ce cadre théorique, ce travail vise à interroger l’existence d’une continuité entre le jeu et les pratiques qui le détournent. Plus largement, nous tenterons de montrer en quoi les caractéristiques formelles des supports mobilisés viennent conditionner et modaliser l’expérience de jeu, sans toutefois la définir ni l’épuiser . Ces questionnements seront abordés à travers l’étude d’un cas de figure spécifique : les détournements des jeux de la licence Halo (Bungie Software, Microsoft Studios) sous forme de fanfictions , de machinimas et de speedruns . Ces trois pratiques de création amateur ont effectivement en commun le fait d’occasionner un changement de support : elles s’emparent d’un jeu vidéo ou de son univers pour produire des œuvres dérivées qui ne sont plus spontanément identifiées comme « ludiques ». Quelles sont donc les conséquences de ce passage du jeu au « document » (le texte, la vidéo) ? Les détournements conservent-ils des « marqueurs pragmatiques de jouabilité » (Genvo, 2011 : 76), des traces observables qui témoigneraient de leur inscription dans une « culture ludique » ? Dans quelle mesure le changement de support détermine-t-il, en retour, l’organisation de la pratique et les modalités de représentation de l’univers ? En d’autres termes : que reste-t-il du jeu Halo dans ces productions dérivées ? C’est à travers l’analyse des œuvres, mais aussi des discours qui leur servent de paratextes (présentations des fanfictions, machinimas et speedruns faites par leurs créateurs, commentaires des récepteurs) que nous tâcherons d’apporter un éclairage à ces questions.
Event organizer :
Manuel Boutet, Brice Roy, Vinciane Zabban, Vincent Berry