Abstract :
[fr] Qu’est-ce qu’un portrait ? Un portrait – telle est la définition qui, depuis le XVIIe siècle, est sans cesse reconduite –, est « la représentation au naturel d’une personne singulière ». Et par « personne », bien entendu, on désigne exclusivement la représentation d’un individu humain. Portrait : « ce mot », lit-on par exemple dans le Dictionnaire français de Richelet, en 1689, « se dit des hommes seulement et en parlant de peinture. C’est tout ce qui représente une personne d’après nature avec des couleurs ». Ou encore, dans le Dictionnaire de l’Académie française, qui lui est à peu près contemporain : « Image, ressemblance d’une personne, par le moyen du pinceau, du burin, du crayon ». La définition, dès lors, est à peu près stable, éblouissante de clarté et d’évidence et correspond, aujourd’hui encore, au sens commun.
Mais ce qui passe pour évident n’en est pas moins le produit d’une construction historique. C’est le propre des phénomènes ou des institutions culturels : ils sont travaillés par un processus d’invisibilisation, de naturalisation ou d’évidentialisation qui marque, chaque fois, le point d’ancrage le plus profondément arrimé. L’invention du portrait, au sens où nous entendons ce mot, en son acception moderne, est bien une affaire de valeurs, d’idéologie ; elle est la marque d’une culture, d’une anthropologie – d’une politique – dont témoigne très éloquemment l’évidence lexicale en laquelle elle paraît d’abord se dissoudre.