Abstract :
[fr] Parallèlement à la croissance exponentielle de ses ventes et de sa notoriété, le mouvement du commerce équitable (CE) connaît une diversification croissante de son paysage organisationnel (Nicholls & Opal, 2005; Wilkinson, 2007). Alors qu’à ses débuts, le mouvement était porté par des organisations militantes relativement homogènes, celles-ci se sont progressivement diversifiées, tandis que de nouveaux acteurs sont apparus avec une dynamique commerciale plus marquée (Gendron, 2004; Moore, 2004; Renard, 2003).
Si toutes les organisations de commerce équitable (OCE) ont en commun de chercher à soutenir des organisations de producteurs au Sud à travers une activité commerciale « équitable » dans le cadre d'un développement durable Nord-Sud, les stratégies adoptées peuvent fortement différer (Wilkinson, 2007). Ainsi, en caricaturant quelque peu, certaines OCE misent principalement sur le partenariat commercial, encadré par un processus de labellisation, et prônent un développement essentiellement quantitatif de la filière, notamment à travers la distribution des produits en grandes surfaces. D'autres, par contre, insistent plus sur la qualité des partenariats avec les producteurs marginalisés et misent sur les activités de sensibilisation des citoyens et de lobbying auprès des pouvoirs publics dans le but de modifier en profondeur les règles du commerce international.
Quelle que soit leur stratégie, les OCE sont inévitablement confrontées aux tensions traversant l’ensemble du mouvement équitable. Ces tensions semblent pouvoir se résumer, globalement et malgré certaines nuances dans les appellations, à deux grands pôles : le pôle économique, de « marché » d’une part, et le pôle socio-politique, de « solidarité » d’autre part. Ce qui différencie les OCE, c’est donc la manière de gérer cette tension et de se positionner par rapport à ces différentes logiques. L’objectif de cette contribution est précisément d’éclairer ces différents positionnements organisationnels sur le « continuum » entre l’économique et le socio-politique.
Nous commençons par présenter ce continuum du CE sur lequel les acteurs se positionnent. Nous proposons ensuite différents indicateurs organisationnels susceptibles d'appréhender ces positionnements. A partir de la théorie des organisations appliquée à différentes formes organisationnelles, nous nous penchons sur les objectifs organisationnels, les ressources, le statut juridique et la composition des éventuelles instances de gouvernance (principalement l'assemblée générale et le conseil d'administration). Nous rappelons dans quelle mesure, selon la littérature, ces indicateurs peuvent être révélateurs du positionnement stratégique de l'organisation.
Ensuite, nous proposons quatre profils organisationnels possibles pour gérer les tensions entre les différents pôles du CE. Chacun de ces profils est caractérisé par rapport aux indicateurs organisationnels proposés : objectifs déclarés, types de ressources mobilisées (ventes, dons, subventions, bénévolat), statut juridique (association, coopérative, entreprise individuelle, société anonyme,...) et composition des instances de gouvernance (types de parties prenantes impliquées). Chaque profil est ensuite illustré par des exemples d'organisations provenant de trois études de terrain réalisées auprès d’OCE en Belgique, en France (dans la région Rhône-Alpes) et au Royaume-Uni. Enfin, après une synthèse de ces quatre profils, nous nous penchons sur leurs implications sur l’avenir du mouvement équitable. Nous cherchons à percevoir l'évolution des stratégies de positionnement des OCE de manière à distinguer les perspectives futures de la filière. La question posée est de savoir si les différents profils de positionnement peuvent continuer à coexister de manière complémentaire ou si, au contraire, ils mènent à l'apparition de différentes formes de CE n'ayant plus en commun que leur appellation.