Abstract :
[fr] Les conclusions partielles se sont imposées à mesure que nous avancions dans cette étude déjà longue. Nous sommes pourtant loin d'avoir épuisé le sujet et, encore plus, d'avoir apporté des solutions définitives. Sortir des routines irréfléchies et ambitionner de traduire les grandes théories pédagogiques dans la pratique quotidienne de l'éducation, découvre tant d'écueils, tant de conditions à remplir que l'on risque d'être envahi par le doute et le découragement! Au risque de laisser nos lecteurs insatisfaits, nous n'avons pourtant pas voulu voiler la difficulté, et moins encore laisser croire à l'existence d'une docimologie achevée, capable de conduire à une évaluation parfaite, si on lui en donne les moyens. Vraisemblablement, et heureusement sans doute, la mesure rigoureuse des traits humains les plus fins restera toujours impossible : le sort nous garde de la machine à peser les âmes! Que l'évaluation continue s'insère fonctionnellement dans le processus d'enseignement et d'apprentissage dont elle est indissociable, n'en supprime pas, pour autant, la nécessité d'une docimastique, c'est-à-dire d'une technique d'examen et de notation, autrement dit encore, d'une technique d'observation systématique du rendement immédiat ou différé. Par ailleurs, l'exigence d'évaluation comparée, que l'éducateur peut regretter pour des raisons idéales, dépasse le domaine scolaire : elle correspond à un caractère fondamental de notre civilisation. Peut-être en sera-t-il un jour autrement. Si notre culture continue à s'intellectualiser, et donc à croître en complexité, nous ne voyons toutefois pas comment elle pourrait renoncer complètement aux examens et aux concours. Notre position docimologique est résolument éclectique dans son désir de concilier les avantages certains de techniques nouvelles, de nature surtout statistique, et l'apport indéniable et fondamental de l'analyse qualitative. Pour nous limiter à un seul exemple de cet éclectisme, nous ne pouvons concevoir que les décisions de passage • intervenant en fin de chaque année d'études universitaires soient prises seulement en fonction des résultats obtenus à un test à choix multiple se prêtant à la notation automatique. Assurément, l'introduction de ce type d'épreuves est hautement souhaitable pour le contrôle objectif et approfondi des connaissances, mais il ne suffit pas. L'évaluation du travail de l'année doit intervenir et la rencontre ultime du maître et de son élève apporter toutes les nuances que l'approche quantitative a laissées dans l'ombre. De même que l' introduction des machines dans l'industrie a permis à l'intelligence de prendre le pas sur la force musculaire et la routine avilissante, de même le contrôle automatique de la connaissance des faits, des méthodes et des techniques rend possible un examen final réellement centré sur les processus mentaux et les traits de personnalité les plus nobles. Quelle importance respective accordera-t-on aux t rois types d'évaluation ? La décision appartient, dans ce cas, à la communauté académique, éclairée par les recherches docimologiques. Un certain nombre de recommandations paraissent s'imposer. En raison même de nos ignorances et de la grande complexité de l'évaluation, il est d'abord urgent qu'un réseau de centres de recherche en éducation couvre le pays entier et soit mis au service du système scolaire. Les fonctions de ces centres sont apparues au cours de notre analyse: recherches portant sur les problèmes fondamentaux et développement des méthodes, des techniques et des instruments nécessaires. Ces centres ne doivent pas être greffés en corps étrangers dans l'ensemble de nos institutions éducatives, mais bien travailler en étroite collaboration avec elles. Plus particulièrement, chaque université devrait créer en son sein un bureau d'études des problèmes d'enseignement et d'examens. On ne peut concevoir que l'institution scientifique par excellence exclue de la rigueur de son analyse une de ses deux raisons d'être : l'éducation. La définition des objectifs généraux et spéciaux, fondement de tout l'édifice de l'enseignement et de l'évaluation, requiert le travail en commun d'un grand nombre de chercheurs et de praticiens de toutes les disciplines. Des commissions spécialisées permettront la coopération nécessaire et la communication, dans les deux sens, - entre la base et le sommet de la hiérarchie pédagogique. La réforme des examens et des modes d'évaluation entraînera sans doute la disparition définitive du calcul du pourcentage, presque universellement répandu dans nos écoles jusqu'à ces temps derniers. Quelles que soient ses faiblesses, l'échelle des pourcentages offrait cependant l'avantage d'être familière à tous et chacun avait au moins l'illusion de la comprendre. Actuellement, les échelles les plus diverses sont essayées dans nos écoles. Une unification du système de notation et une campagne d'information sont nécessaires dans le plus bref délai, faute de quoi la communication deviendra malaisée, sinon impossible, entre l'école et la famille, entre les différentes écoles, entre les écoles et les autorités. Pourtant, avant de prendre une décision dont l'importance est patente, tes experts de la docimologie et, plus généralement, de ta mesure en sciences humaines devraient être entendus. Un vaste effort d'information sera aussi entrepris auprès des enseignants appelés à changer profondément leurs habitudes d'évaluation. Le moyen le plus efficace semble résider dans l'organisation d'expériences locales portant sur ta préparation des examens, la notation et la modération. Ces expériences seraient, par exemple, incorporées dans les travaux nécessaires à l'introduction de l'enseignement secondaire rénové, en Belgique, et dans la réforme de la formation des maîtres ; progressivement, toutes les écoles y participeraient. Des commissions de modération locales et régionales seront petit à petit constituées. Une action trop hâtive risque de mettre en péril une rénovation éminemment louable. On se gardera, en particulier, de décevoir ou d'égarer les enseignants en tentant de les placer sous l'autorité de docimologistes improvisés. Œuvre humaine par excellence, l'éducation ne gagnera en qualité que dans la mesure où les éducateurs accepteront profondément les idées nouvelles et tenteront de se dépasser eux-mêmes.
[fr] De nouveaux modes d'évaluation des élèves entrent dans nos mœurs pédagogiques. Les résultats de l'observation continue prennent progressivement le pas sur l'examen de fin d'année. L'innovation est louable. Elle ne traduit nullement la volonté de supprimer la mesure à l'école, mais, au contraire, de la rendre moralement plus juste et scientifiquement plus exacte. Ce changement déborde largement le domaine de la notation et coïncide avec des transformations profondes de l'éducation. L'événement n'est pas fortuit. La civilisation contemporaine, l'économie de notre société réclament un homme pourvu de qualités et de connaissances nouvelles : en pareil cas, les innovations pédagogiques s'imposent irrésistiblement. La contestation des examens traditionnels a toutefois créé un malentendu grave. Il ressemble de façon frappante à celui qui a surgi, entre 1920 et 1940 surtout, lorsque l'adoption des idées, mal digérées, de la pédagogie fonctionnelle des Claparède, Dewey, et autres «progressistes, conduisit au culte de l' improvisation, au mépris de la discipline rigoureuse, au centrage sur des intérêts n'existant que dans l'esprit des théoriciens ... Avec l'avènement de J. Dewey, l'école aurait pu prendre comme devise : " L'effort est mort, vive l'effort ! "• De même, serions-nous tenté de proposer aujourd'hui : « Les examens meurent, les examens sont morts, vivent les examens ! ». Assurément, les vieux examens qui empoisonnaient l'atmosphère et la matière de cycles entiers d'études et décidaient de la carrière scolaire ou professionnelle en quelques heures, - voire en quelques minutes ! - doivent disparaître. Assurément aussi, la majeure partie des travaux docimologiques publiés jusqu'ici n'ont été que mises au point de systèmes perfectionnés pour continuer à mal faire les choses. Car ils ne s'appuyaient pas sur une remise en cause de tout l'enseignement. Mais si, par contre, on ménage, dans chaque activité d'enseignement de base, la place qui revient à l'évaluation, au feedback comme disent les psychologues d'aujourd'hui, les examens existent alors, de façon quasi permanente dans la vie scolaire. Tantôt ils consistent en brèves évaluations, tantôt ils prennent la forme d'épreuves plus longues, couvrant parfois des quantités considérables de matières. L'essentiel est qu'ils ne s'insèrent pas, en corps étrangers, dans le processus d'éducation, mais qu'ils en fassent partie intégrante. Pour cette même raison d'ailleurs, ils ne se cantonnent donc pas étroitement au domaine de la connaissance, mais visent à saisir l'ensemble de la personnalité. Toute réforme profonde s'accompagne, presque nécessairement, d'une période d'adaptation, de tâtonnements, d'errements. Ainsi s'explique le désarroi de beaucoup de maîtres qui essaient actuellement Je système d'évaluation continue. Ainsi s'explique aussi qu'un tabou frappe soudain Je mot examen et, qu'au moment où nous écrivons ces lignes, on délivre çà et là des certificats de fin d'études sur la base d'évaluations ponctuelles, qualitativement et quantitativement insuffisantes, mal intégrées de surcroît, et sur la foi d'impressions personnelles à côté desquelles les vieux examens napoléoniens semblent des monuments d'objectivité ! Mais il ne s'agit, nous en sommes convaincu, que d'une crise d'adaptation. Il n'est donc nullement paradoxal qu'après avoir recommencé - brièvement - le procès des examens et nous être déclaré ardent partisan de l'observation continue et du bilan de fin de cycle, nous consacrions le présent ouvrage ... à l'organisation des examens. Mais le lecteur sait maintenant que, si le mot est resté le même, son sens a profondément changé. Beaucoup d'enseignants se méfient encore des tests et des autres instruments qui ambitionnent de quantifier l'humain. Non sans raison d'ailleurs, car ces outils ont fait, dans les dernières décennies, leur maladie de jeunesse. Et comme leurs utilisateurs n'ont pas toujours su compenser l'imperfection des techniques par une grande modération de jugement et une intelligence profonde des situations d'ensemble, bien des erreurs ont été commises. Mais si la prudence reste nécessaire, si l'esprit critique et le sens clinique ne perdront jamais leurs droits, des progrès considérables ont néanmoins été accomplis : on peut maintenant mesurer bien des comportements humains de façon satisfaisante. Aujourd'hui, d'aucuns pourraient rejeter la mesure objective, non plus parce que toute validité lui fait défaut, mais parce qu'ils n'en comprennent pas l'économie. Dénier toute valeur à ce qu'on ignore, est un réflexe de défense bien connu. L'aspect mathématique des méthodes à adopter et de la littérature expérimentale, souvent indigeste, vient encore compliquer la situation. Le temps de l'opposition entre psychométriciens et praticiens de l'éducation est révolu. Les premiers doivent humaniser leurs chiffres ; les seconds, introduire plus de rigueur dans leurs procédures ; tous deux doivent unir et harmoniser leurs efforts pour le plus grand profit de l'étudiant et de la communauté. Que ceux qui, en feuilletant ce livre, ont aperçu quelques chiffres se rassurent : les quatre opérations arithmétiques seront un bagage suffisant ! Comme d'habitude, les procédés dont il va être question sont plus diffici les à expliquer qu'à appliquer. Certes, tous les secrets de la mesure et de la statistique ne seront pas livrés, mais les notions simples que nous allons rencontrer ont une valeur pratique éprouvée. Elles détiennent, en outre, un indéniable pouvoir de démythification et faciliteront ultérieurement la lecture de travaux docimologiques plus spécialisés.