Abstract :
[fr] Ce numéro de revue traite un sujet tout à fait nouveau dans le cadre des études sémiotiques. Il vise à reparcourir les précautions méthodologiques et épistémologiques qui ont amené les sciences du langage à dé-psychologiser le sujet et à l’interroger à partir de ses produits discursifs. Dans la théorie narrative greimassienne en particulier, le sujet énoncé était « décidé » et caractérisé par la succession de ses actions, et le sujet énonciatif ne pouvait être « récupéré » que par le biais des traces laissées dans les énoncés. L’énonciation a surtout été explorée en tant que système de simulacres de la subjectivité (et de l’intersubjectivité) ; par conséquent, les compétences et les passions ont toujours été saisies comme cristallisées à l’intérieur de la textualité conçue comme totalité close et prête à être analysée par le regard du sémioticien. Si le domaine de la morale avait déjà été timidement abordé par l’Ecole de Greimas dans les années 1990, le domaine de l’éthique a demandé un point de vue différent par rapport à l’approche de l’immanence textuelle, parce qu’il s’agit d’un domaine axiologique qui, par définition, laisse ouvert le questionnement sur le sens. Ce questionnement sur les fondements du sens doit être saisi tout au long des pratiques « en acte » et des transformations dans le temps. Ce questionnement n’a pas de « totalisation » et d’épuisement possibles et, si la sémiotique vise à rendre compte de cette « constitution du sens » pour un sujet impliqué dans des situations diverses, elle devra approcher les points de vue herméneutique et analytique, comme l’avait envisagé Ricœur, même lors de ses dialogues avec Greimas. Les articles contenus dans cet ouvrage collectif se sont demandé si et comment il serait possible pour la sémiotique de concilier un champ d’investigation qui a toujours été celui des discours et des « effets de sens » avec un nouvel horizon d’étude qui concerne les pratiques identitaires « en train de se faire » et les expériences vécues. Par le biais de la problématique de l’éthique, la sémiotique doit essayer d’analyser les relations entre le sujet conçu en tant que produit discursif et le sujet en tant que personne qui agit dans le monde. Aujourd’hui, grâce surtout aux recherches en sciences du langage sur la praxis énonciative, les pratiques sociales « incarnées » et les passions/émotions du sujet, et grâce au déplacement du sens du mot « valeur » d’une acception saussurienne différentielle à une acception qui renvoie à la prégnance des valeurs pour un sujet en situation, la sémiotique a pu commencer à aborder la question de la subjectivité du côté du « sens pratique ». Ce faisant, la sémiotique prend en considération non seulement la constitution d’une identité subjective et son développement dans le temps grâce à la rencontre avec d’autres subjectivités, mais aussi l’interrogation du sujet sur lui-même et sur le sens de ses propres actions et décisions. Cette problématique de l’autoréflexivité du sujet contribue à une réelle ouverture du champ de l’investigation, surtout en ce qui concerne la possible conflictualité entre différents rôles identitaires que le sujet doit gérer en lui-même : d’un côté, des rôles individuels, intimes et, de l’autre, des rôles sociaux, publics. Ce numéro de Protée propose une réflexion sur la problématique de la description et de la descriptibilité de la subjectivité et de sa conflictualité interne par le biais d’une étude sur l’éthique. Pour ce faire, les études sémiotiques se sont mesuré avec une tradition philosophique souvent oubliée ou écartée des champs d’investigation des sciences du langage. Les contributions des philosophes Angèle Kremer-Marietti et Sandra Laugier permettent ainsi de combler ce manque.