Abstract :
[fr] Le 8 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision attendue mais décevante : alors qu’il était invité à se prononcer sur la qualité d’auteur de Daniel Druet, artiste ayant matériellement réalisé des sculptures utilisées par Maurizio Cattelan et toujours exposées sous le nom exclusif de ce dernier, le tribunal a tranché l’affaire sous l’angle de la recevabilité uniquement. Ainsi, Cattelan fut confirmé dans son statut d’auteur, certes, mais par la seule grâce d’une présomption légale et d’une règle procédurale. Alors que les controverses autour de la notion d’auteur restent extrêmement vivaces dans le champ de l’esthétique et de l’histoire de l’art, le droit s’efforce de les contourner et, pourtant, produit des décision qui ont un effet d’attribution (ou de confirmation) du statut d’auteur.
Au départ de ce cas d’apparence déceptive qui – de ce fait – pourrait être qualifié de non-cas mais qui, en raison de sa puissance heuristique singulière ne peut être réduit à une simple négation et que nous qualifions dès lors de (non-)cas, la présente dissertation doctorale entend préciser la manière dont le droit agit sur d’autres sphères du réel et, singulièrement, sur la sphère artistique.
L’approche retenue est résolument dialectique : au départ d’un cas (le singulier), c’est l’agentivité propre au droit (le général) qu’il s’agit de préciser mais sans jamais abîmer ou dissoudre la singularité au départ de laquelle nous travaillons. Au fond, cette dissertation envisage la recherche juridique comme une pratique narrative : faire du droit, c’est d’abord – tant logiquement que chronologiquement – raconter des histoires. À cette dialectique du singulier et du général répond un autre mouvement méthodologique : l’agentivité que nous cherchons à saisir ne se laisse appréhender que par une combinaison d’approches externe (disciplines extra- ou méta- juridiques) et interne (recours aux techniques propres du droit). Aussi, la structure même de la recherche répond-elle à une réflexion qui opère par décentrements et focalisations successifs.
Les deux parties de la dissertation doctorale visent à rencontrer un double objectif : comprendre ce que le droit fait aux choses et aux êtres humains, spécifiquement dans le domaine de l’art (décentrement), et comprendre comment les opérations juridiques elles-mêmes agissent concrètement sur les objets qui leurs sont soumis (focalisation).
Dans la première partie de la thèse, nous recourons successivement aux outils de la philosophie du langage, de l’anthropologie maussienne, de la sociologie bourdieusienne et de la philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer. Cette dernière constituera le cadre théorique de la suite de la dissertation : nous prolongeons ainsi les travaux de Cassirer en les appliquant au phénomène juridique pour éclairer la fonction propre du droit dans sa vocation à transformer le monde extra-juridique, y compris les productions artistiques.
Dans la seconde partie de la thèse, revenant à certaines formes de contentieux relatifs aux œuvres d’art (approche interne – focalisation), nous examinons, en l’éclairant par la philosophie des formes symboliques, l’opposition du vrai (ou de l’authentique) et du faux (ou de l’inauthentique) dans le contentieux de la vente d’œuvres d’art, avant de montrer comment le vrai et le faux procèdent, dans le discours juridique doté du pouvoir du dernier mot, de critères propres à celui-ci, indépendants de ceux des experts ou des historiens de l’art. Le droit apparaît ainsi comme une instance de production de vérité non seulement autonome par rapport à d’autres instances mais aussi supérieure à elles en tant que c’est « sa » vérité qui, une fois une décision judiciaire définitive passée en force de chose jugée, l’emportera sur toutes les autres. Dans un ultime exercice de décentrement, la sociologie de Bruno Latour permet de mieux comprendre cette supériorité du discours juridique dans le monde social.
Après avoir ramassé les principaux enseignements de la recherche dans des conclusions générales, nous clôturons le tapuscrit par un épilogue, reprenant la décision d’appel dans l’affaire Druet c. Cattelan : la boucle est ainsi bouclée.
Institution :
ULiège - Université de Liège [Droit, science politique et criminologie], Liège, Belgium