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Abstract :
[fr] Suite au tournant pragmatiste des sciences sociales et aux travaux d’auteurs et autrices comme Bruno Latour (2006), Donna Haraway (2007) ou Isabelle Stengers (2009) il est devenu commun d’affirmer que le modèle économique qui a triomphé dans la modernité, le capitalisme productiviste, s’est construit sur une double domestication/exploitation : celle de la nature neutre et objectifiable d’une part (au sein de laquelle sont en général confinés les animaux) et celle des êtres humains d’autre part. Le tournant évoqué, rompant avec ce faux dualisme, conduirait à redessiner en profondeur les cartes du rapport des modernes à la nature en général, et aux animaux en particulier. Ce tournant serait porteur également de l’embryon d’un nouveau paradigme que les sciences sociales, avec d’autres sciences, appelleraient de leurs vœux : un paradigme écologique. Toutefois, dans ce dossier, nous faisons le pari que cette réconciliation des modernes et de ce qu’ils ont traditionnellement placé du côté de la nature, convoquée par les auteurs pragmatistes évoqués, n’a pas abouti. En effet, ayant d’une part négligé la perspective critique qui, de Marx à Bourdieu en passant par l’École de Francfort, a traditionnellement mis au centre des sciences sociales la question de la domination, et ayant d’autre part prêté peu d’attention aux approches communicationnelles, il nous semble que le tournant pragmatiste reste à ce jour inachevé. Pour tenter d’appréhender ce qui pourrait relever d’une critique inter-espèce de l’exploitation, et afin de ne pas décider nous-mêmes de ce qui est bien ou non pour les animaux, l’enjeu de ce numéro est d’essayer de saisir ce qui, pour un animal, « pose problème » dans le traitement qu’on lui inflige, par exemple dans une situation de travail qui le réduit à ses qualités d’exploitabilité. Comment articuler le principe d’une domination objective avec une description du vécu d’un rapport humain-animal du point de vue de l’animal ? S’il est possible de l’ethnographier, comment alors équiper de façon critique nos descriptions ? Si certains auteurs nous montrent la voie, en cherchant à décrire le point de vue animal (Baratay, 2014 ; Pouillard, 2022), en déconstruisant savamment l’anthropocentrisme dans nos interactions avec les animaux (Despret, 2014), ou en proposant des « ethnographies animales » (Coulter, 2018), nous avons souhaité ici approfondir la discussion sur les enjeux descriptifs des relations asymétriques qui sont la plupart du temps celles qu’entretiennent les êtres humains et les animaux. Mais nous avons également voulu ménager une place aux tentatives de symétrisation que peuvent tenter certains chercheurs, à l’instar des professionnels de l’approche fear-free ou des refuges.