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Abstract :
[fr] Le film Nope (Jordan Peele, 2022) a été lu par de nombreux commentateur.rices, journalistes ou chercheur.euses, comme une parabole horrifique de la revanche de la nature oppressée sur l’être humain oppresseur. Selon ces commentaires et analyses, le cadre explicite et structurant de cette parabole serait une critique moderne de la société du spectacle en tant qu'elle cristalliserait le rapport destructeur que l’humanité a instauré avec la nature. Les trois couches narratives qui s’entrecroisent dans Nope se nourrissent en effet pour la plupart d’un motif scénaristique récurrent (et bien connu) qui fait de l’animal révolté et vengeur le levier même de l’effet horrifique du film tout autant que du dévoilement fatal des conditions de production du spectacle (cinéma, parc d’attractions, sitcom, etc.).
L’hypothèse qui se trouve au départ de ma communication prend toutefois le contrepied de ces lectures en suggérant qu'à travers sa mise en scène de l’ultime menace dans le film – un nuage surnaturel ou extraterrestre, non animal à tout le moins –, Nope trouve dans une invisibilisation des conditions de production le socle de son effet horrifique le plus puissant. A suivre cette hypothèse, le film de Jordan Peele ne serait pas, dès lors, une fable horrifique dystopique, écologiste et critique des spectacles, mais une réaffirmation contemporaine d’un des fondements classiques du film d’horreur débouchant sur son réinvestissement politique. Pour nourrir cette hypothèse, mon analyse se concentre d'abord sur un des motifs scénaristiques centraux du film qui concerne, pour le dire vite, la capacité "enregistrante" (figeante tout autant que mobilisante) de la caméra, qui fait retour dans les trois moments médiatiques qui structurent le film : la décomposition par Muybridge du mouvement d’un cheval au galop, la captation par des caméras abandonnées d’un massacre perpétré par un chimpanzé sanguinaire sur un plateau de télévision, et les tentatives d’enregistrement, vidéographique d'abord, cinématographique ensuite, du nuage meurtrier. Dans un second temps, je montre en quoi l'invisibilisation des conditions de production de la principale menace dans l'espace diégétique du film, peut être comprise comme le fondement d'une autre critique écologiste qui n'est pas réductible à quelques animaux vengeurs, mais qui, au contraire, trouve dans l'étrangeté absolue d'un nuage, l'opérateur d'une critique de la représentation médiatique de la nature.
Les deux temps de mon analyse sont fondés sur un ensemble d’écrits sur la fantasmagorie de T. W. Adorno et de W. Benjamin qui questionnent les rapports politiques entre spectacle moderne et invisibilisation des conditions de production des effets qu'ils produisent sur le spectateur.