Abstract :
[fr] Dans un contexte de crise de la représentation politique et de méfiance envers les institutions politiques, les revendications citoyennes, académiques et politiques visant à renouveler la démocratie par des formes de participation citoyenne plus actives sont légion. En Belgique, dans le sillage des expériences délibératives du G1000 et de l’ouvrage Contre les élections de l’historien David Van Reybrouck, les propositions d’institutionnalisation du tirage au sort trouvent des échos dans le monde politique.
Sortant ainsi du monde académique et militant pour prendre forme dans des dispositifs concrets, l’idée du tirage au sort, instrument antique de la démocratie athénienne, se confronte à la réalité des sociétés post-industrielles du XXIe siècle. Cette concrétisation du tirage au sort constitue un moment réflexif important qu’il nous faut saisir afin de questionner nos visions du gouvernement démocratique.
Cette communication est l’occasion de revenir sur cette décennie de propositions
d’institutionnalisation du tirage au sort dans les assemblées parlementaires et de mettre en
lumière quelques enjeux relatifs à nos conceptions du gouvernement représentatif, de la
démocratie et de la citoyenneté. Afin d’aborder les vastes enjeux de ces expériences concrètes, nous avons fait le choix de découper les processus délibératifs en cinq étapes, chacune marquée par un enjeu central.
Une première étape, en amont du processus, concerne le choix des critères et la taille des
échantillons construits par la sélection aléatoire de citoyens. Nous observons en effet que la
faible taille des échantillons et la focalisation de représentativité sur certains critères ne
garantissent pas la représentativité politique des citoyens tirés au sort et risquent
potentiellement, dans un geste sociologique sur-déterministe, d’enfermer les dispositifs
délibératifs dans un conformisme apolitique. Une deuxième étape concerne les réponses des milliers de citoyens, après le premier tirage au sort, à l’invitation qui leur est faite d’être potentiellement choisi une seconde fois par le hasard.
Cette réponse à la première invitation est systématiquement facultative et volontaire. Dans un pays où le vote reste largement obligatoire, il est légitime de questionner cette citoyenneté à deux vitesses et l’idée d’une citoyenneté consentie dans le cadre des expériences délibératives.
La troisième étape concerne la discussion au sein des dispositifs délibératifs et plus précisément l’enjeu de la représentation. En effet, alors que les parlementaires sont tiraillés entre une représentation nationale de toute la population, une représentation idéologique de par leur appartenance partisane et une représentation personnelle de par la logique historique du mandat représentatif et libre au sein du gouvernement représentatif. Les citoyens tirés au sort se retrouvent eux aussi perdus au sein de cette représentation confuse, entre volonté de parler au nom de l’intérêt général, au nom de l’archétype de citoyen qu’ils sont censés représenter selon les critères de représentativité servant à leur sélection ou en leur nom propre de citoyen individuel au parcours de vie particulier.
La quatrième étape concerne le processus de délibération et de décision au sein des commissions délibératives. Nous souhaitons ainsi questionner la dynamique consensuelle et le caractère neutralisant des expériences délibératives. En partant du présupposé qu’une procédure n’a pas de sens en elle-même, nous voulons rappeler les possibilités agonistiques du tirage au sort, opposées au consensualisme organisé du paradigme dominant, pour imaginer différentes conceptions du consensus et du conflit en démocratie.
Finalement, la cinquième concerne la compétence exclusivement consultative des assemblées composées de citoyens tirés au sort. Il nous parait essentiel, dans un contexte de crise de la représentation et de méfiance à l’égard des institutions politiques, de questionner l’absence systématique de transfert de pouvoir décisionnel des élus vers les citoyens tirés au sort. Ce moment de réflexion doit permettre par la même occasion d’imaginer la combinaison du tirage au sort avec d’autres procédures (référendum, mandat impératif, limitation du cumul des mandats) afin d’aller outre ce caractère purement consultatif des expériences délibératives et ne pas les reléguer au rang de simples groupes de discussion au sein d’un parlement.
Ces cinq enjeux – conformisme apolitique, citoyenneté consentie, représentation confuse,
consensualisme organisé et caractère purement consultatifs – organiseront donc notre
développement autour de cinq moments des processus délibératifs. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, nous proposons un court détour par la description des propositions
d’institutionnalisation du tirage au sort au sein des assemblées parlementaires belges.