Abstract :
[fr] Les éoliennes représentent une cause de mortalité avérée des rapaces diurnes en Europe, dont le milan royal (Milvus milvus), espèce listée à l’annexe I de la Directive Oiseaux et protégée en Wallonie. Le milan royal niche dans l'est de la Wallonie. Cette population est en forte expansion depuis son retour dans les années 1970 et agit probablement comme source pour la recolonisation des pays limitrophes.
L’impact des éoliennes actuelles et futures sur la population wallonne de cette espèce reste mal compris. Notre étude transdisciplinaire tente de répondre à cette question, d’une part en analysant les données démographiques de l’espèce en lien avec les scénarios de développement éolien, en estimant la mortalité engendrée par les éoliennes par la recherche de cadavres sur deux parcs éoliens wallons, et en modélisant l’évolution de la population sur les 30 prochaines années (horizon 2054) sur base de tous ces paramètres, et d’autre part en interrogeant un panel d’experts sur leur analyse de la situation et leur point de vue éthique.
Les interviews menées avec des experts de différents horizons, certains plutôt favorables et d’autres plutôt défavorables aux éoliennes, ont montré un consensus sur l'importance de réduire au maximum la mortalité des oiseaux. Les opinions divergent quant à l'ampleur acceptable de cette mortalité. Les positions des acteurs sont façonnées non seulement par leurs préoccupations environnementales, mais aussi par des considérations économiques, politiques et sociales. Plusieurs insistent sur le fait que les incertitudes futures quant à l’expansion du parc éolien doivent être prises en compte pour anticiper les impacts potentiels à long terme.
Au niveau démographique, notre étude se base sur une nouvelle estimation réalisée par AVES-Natagora pour 2024 de 500 à 600 couples pour la population wallonne, ce qui correspond à 1.716-2.060 individus selon les distributions de classes d’âge disponibles dans la littérature. Le taux de croissance moyen sur l’ensemble de la période 2007-2024 est estimé à 7,3%. Notre analyse des différentes estimations de la taille de la population suggère que le taux de croissance a diminué au cours du temps sur cette période.
Soixante recherches systématiques de cadavres menées sous neuf éoliennes de deux parcs en 2023 ont permis de trouver des indices de mortalité de deux individus de milans royaux : une aile complète le 03/07/23 à Butgenbach et des rectrices le lendemain à Halconreux. Ces observations combinées aux mesures de l’efficacité de l’observateur et de la persistance des cadavres suggèrent une mortalité annuelle totale de 3,35 milans par an pour les 9 éoliennes (intervalle de confiance 2,0 – 6,6) soit 0,37 individu par éolienne par an en moyenne pour deux zones dont la densité de couples nicheurs est estimée entre 6 et 12 territoires / 40 km2 . Une étude similaire menée 5 ans plus tôt avait estimé ce taux dans la même région à 0,2 individu par éolienne par an.
En rapportant ce taux à l’ensemble des éoliennes wallonnes et en tenant compte des variations de densité du milan royal, la mortalité annuelle totale en 2023 induite par les éoliennes est estimée à 20,6 milans, soit environ 1,1 % de la population présente en période de nidification, pour un total de 234 éoliennes en exploitation dans l’aire de répartition wallonne de l’espèce, réparties dans des zones de densité estimée variant entre 0,5 et 16 territoires/40 km².
Une analyse rétrospective basée sur l’évolution progressive du nombre d’éoliennes depuis 1998 (première éolienne en Wallonie), sur l’évolution de la population de milans royaux depuis le premier recensement de 2001-2007, et sur l'estimation de tous les individus théoriquement tués nous a permis d’estimer que si aucune éolienne n’avait été construite en Wallonie, la population actuelle (2023) aurait été augmentée de 4 à 15 % (+40-82 couples).
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Une analyse de viabilité de la population a été réalisée à l’aide du logiciel EolPop pour la période 2024-2054. Six scénarios de croissance du nombre d’éoliennes (total wallon maximum estimé à 1.108 éoliennes) ont été combinés à quatre modèles démographiques portant sur le taux de croissance de la population du milan royal (3,7-6,8 %) et la capacité de charge (615-3.340 couples). Aucun des scénarios de développement éolien étudié ne résulte en une baisse de la population du milan royal en Wallonie, même dans les scénarios où la mortalité par éolienne a été par prudence augmentée de 50%. Les résultats des modèles suggèrent cependant, pour les scénarios démographiques jugés les plus probables, que la population en 2054 pourrait être 8% à 20% moins élevée par rapport à un scénario où on garderait le même nombre d’éoliennes qu’actuellement. Ces projections ne sont bien sûr valables que si les taux de croissance continuent de suivre la même trajectoire et que de nouveaux facteurs de mortalité ne viennent pas s’ajouter.
En conclusion, la mortalité éolienne a un impact sur la population de milans royaux en Wallonie, mais ne menace pas son évolution positive à moyen terme. Il convient cependant de continuer un suivi de l’espèce pour détecter d’éventuels changements de trajectoire démographique, et de poursuivre les efforts pour atténuer cette mortalité.
[en] Wind turbines are a proven cause of mortality for diurnal birds of prey in Europe, including the Red kite (Milvus milvus), a species listed in Annex I of the Birds Directive and protected in Wallonia. The red kite nests in eastern Wallonia. This population has been expanding rapidly since its return in the 1970s, and is probably acting as a source for the recolonisation of neighbouring countries.
The impact of current and future wind turbines on the Walloon population of this species remains poorly understood. Our transdisciplinary study attempts to answer this question by analysing the demographic data for the species in relation to wind farm development scenarios, estimating the mortality caused by wind turbines by searching for carcasses on two Walloon wind farms, modelling population trends over the next 30 years (to 2054) on the basis of all these parameters, and by interviewing a panel of experts about their analysis of the situation and their ethical views.
Interviews with experts from a variety of backgrounds, some favourable and some unfavourable to wind energy, revealed a consensus on the importance of minimising bird mortality. Opinions differ as to the acceptable extent of this mortality. Stakeholders' positions are shaped not only by their environmental concerns, but also by economic, political and social considerations. Many insist that future uncertainties about the expansion of the wind farm must be taken into account to anticipate potential long-term impacts.
At the demographic level, our study is based on a new estimate by AVES-Natagora for 2024 of 500 to 600 breeding pairs for the Walloon population, which corresponds to 1,716-2,060 individuals according to the age class distributions available in the literature. The average growth rate over the entire 2007-2024 period is estimated at 7.3%. Our analysis of different estimates of population size suggests that the growth rate has decreased over time over this period.
Sixty systematic carcass searches carried out under nine wind turbines at two wind farms in 2023 found evidence of mortality of two red kites: a complete wing on 03/07/23 at Butgenbach and rectrices the following day at Halconreux. These observations, combined with
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measurements of observer efficiency and the carcass persistence, suggest a total annual mortality of 3.35 kites per year for the 9 wind turbines (confidence interval 2.0 - 6.6), i.e. an average of 0.37 individuals per wind turbine per year for two areas with a breeding pair density of around 6-12 territories / 40 km2. A similar study carried out 5 years earlier had estimated this rate in the same region at 0.2 individuals per wind turbine per year.
If we relate this rate to all the wind turbines in Wallonia and take into account variations in red kite density, the total annual mortality in 2023 caused by wind turbines is estimated at 20.6 individuals, or around 1.1% of the population present during the nesting period, for a total of 234 wind turbines in operation in the Walloon range of the species, distributed in areas of estimated density varying between 0.5 and 16 territories/40 km².
A retrospective analysis based on the progressive evolution of the number of wind turbines since 1998 (first wind turbine in Wallonia), on the evolution of the Red Kite population since the first census in 2001-2007, and on the estimation of all the individuals theoretically killed enabled us to estimate that if no wind turbine had been built in Wallonia, the current population (2023) would have been increased by 4 to 15% (+40-82 pairs).
A population viability analysis was carried out using EolPop software for the period 2024-2054. Six scenarios for growth in the number of wind turbines (maximum Walloon total estimated at 1,108 turbines) were combined with four demographic models for the red kite population growth rate (3.7-6.8%) and carrying capacity (615-3,340 pairs). None of the wind farm development scenarios studied resulted in a decline in the red kite population in Wallonia, even in the scenarios where mortality per wind turbine was conservatively increased by 50%. However, the results of the models suggest that, for the demographic scenarios considered most likely, the population in 2054 could be 8% to 20% lower than in a scenario in which the same number of wind turbines were installed as at present. Of course, these projections are only valid if growth rates continue to follow the same trajectory and new mortality factors are not added.
In conclusion, wind energy has an impact on the red kite population in Wallonia, but does not threaten its positive evolution in the medium term. However, the species should continue to be monitored to detect any changes in its demographic trajectory, and efforts should continue to be made to mitigate this mortality.