Abstract :
[fr] Dans le champ des humanités environnementales, de nombreuses études s’attachent à démontrer les inégalités passées et présentes entre les communautés, en particulier vis-à-vis de la répartition des nuisances environnementales (pollutions et dégradations diverses). Ces approches issues du champ de la justice environnementale sont en partie associées à une compréhension de la gouvernance des mondes toxiques centrée sur les risques. Cependant, la constatation de la prolifération croissante des pollutions marque la montée d’une injonction d’adaptation. Dans cette thèse, je me suis donc interrogée sur la façon d’appréhender la justice dans le contexte de mondes abîmés par la présence de pollutions industrielles.
Pour cela, une enquête ethnographique a été réalisée pour étudier les mobilisations citoyennes au sein de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, située à proximité de Marseille (France). En m’appuyant sur de l’observation participante et des entretiens semi-directifs, je déplie une analyse en trois temps. En premier lieu, je retrace l’histoire de cette zone depuis son industrialisation en montrant que celle-ci est marquée par des injustices environnementales aux dimensions variées, relatives à des enjeux de distribution, de reconnaissance, de participation et de justice épistémique. Plus largement, j’observe aussi un geste de colonisation des « terres vierges » considérées comme disponibles par les aménageurs de la zone industrielle. La prise en compte de ce geste implique alors de considérer une dimension matérielle et existentielle complémentaire aux enjeux déjà soulignés par la notion de justice environnementale.
Cependant, malgré ces injustices, les habitants rencontrés témoignent aussi d’attachements à leur lieu de vie. Pour en tenir compte, je propose alors dans un second temps de déplier un récit qui s’écarte d’une approche centrée exclusivement sur la mise en évidence des injustices pour m’intéresser à quelques attachements des habitants de ce territoire. Sans prétention d’exhaustivité, je présente ce que j’identifie comme deux expressions particulières de l’attachement : celle de la construction de l’héritage et celle des arts de l’attention. Ensemble, ces attachements constituent pour les habitants concernés une forme de réappropriation de leur territoire face à la colonisation imposée.
Dans un troisième temps, j’étudie les possibilités d’une participation plus active de la part des habitants désireux de pouvoir intervenir au sein de leur territoire en ce qui concerne l’impact de la présence industrielle. En particulier, j’analyse les pratiques déployées par l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, une association qui rassemble citoyens et chercheurs pour coproduire des connaissances dans le but de mieux évaluer l’impact des pollutions industrielles sur la santé et l’environnement. En me référant au concept pragmatique d’enquête au sens du philosophe John Dewey, je montre alors que ces pratiques présentent une dimension d’objectivation des pollutions et une dimension existentielle pour les habitants enquêteurs face à la réalité industrielle qui leur est imposée. Les enquêtes mises en oeuvre par l’intermédiaire de cet institut s’appuient sur la formation d’un public hétérogène et se caractérisent par la mise en place d’interdépendances et de débordements au bénéfice du développement d’une intelligence collective et d’un faire confiance. En remettant en rapport les leçons tirées de ces démarches d’enquêtes vis-à-vis des dispositifs participatifs de gouvernance des risques industriels, cette analyse amène alors à considérer l’importance d’une écologie des pratiques par un faire au-delà de la mise en place de communautés débattantes.
Finalement, je reviens sur quelques stratégies développées par les habitants pour discuter de la question de l’adaptation à la présence industrielle et amorcer une réflexion plus générale sur la justice dans les situations confrontées au faire avec. Dans ce contexte, je formule alors la proposition d’une justice écologique qui s’instaure par des enquêtes afin de continuer à faire monde au-delà du cadrage de la réalité par la gouvernance des risques industriels.